Le Covid pourrait redistribuer les cartes. De nouvelles stratégies sont à l’étude. Et cela dans un contexte où les perspectives démographiques revues à la baisse, les politiques mises en place et le mouvement de densification déjà bien entamé permettent de freiner l’étalement urbain.
Une demande qui explose les compteurs, notamment pour des maisons plus vertes, plus aérées, plus spacieuses, quitte à s’éloigner des lieux de services et de transports en commun. Et de l’autre côté, une offre extrêmement faible qui fait enrager des agents immobiliers en manque d’occupation.
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Une demande qui explose les compteurs, notamment pour des maisons plus vertes, plus aérées, plus spacieuses, quitte à s’éloigner des lieux de services et de transports en commun. Et de l’autre côté, une offre extrêmement faible qui fait enrager des agents immobiliers en manque d’occupation. Le marché immobilier est actuellement sens dessus-dessous dans les zones à forte pression foncière de Wallonie, particulièrement en Brabant wallon et à Namur. Cette tendance de l’immobilier à l’ère Covid aura-t-elle des conséquences sur les phénomènes de densification et d’enrayement de l’étalement urbain en vigueur en Wallonie ces dernières années, dont l’apogée devrait arriver en 2040 avec la mise en place d’un Stop au béton? Cela semble peu probable, tant cet emballement du marché ne devrait rester qu’un épiphénomène par rapport à la production d’appartements actuellement en cours. Il n’empêche que cette situation pose désormais la question de l’acceptation de la densification du territoire à plus long terme. D’autant que les perspectives démographiques ont été sérieusement revues à la baisse en Wallonie par le Bureau du Plan. Tentative de décryptage. Premier élément: le mouvement de densification est bien en marche. “Et ce, même si aucun texte réglementaire tel que le SDT (Schéma de développement du territoire) n’a été adopté”, précise Hélène Ancion, d’Inter-Environnement Wallonie. Si l’artificialisation du sol était de 2.000 ha par an entre 1990 et 1995 (pour des terrains résidentiels), elle n’était plus que de 710 ha en 2019, selon les chiffres de la Conférence permanente du développement territorial (CPDT) qui rassemble des chercheurs en aménagement du territoire des principales universités francophones. Dans le même temps, la production de logements n’a jamais été aussi élevée: 14.000 unités par an depuis 2015 alors qu’on ne dépassait pas les 12.000 unités auparavant. Moins de terrains consommés, plus de logements construits: l’équation est limpide. “Nous n’avons jamais produit autant qu’aujourd’hui en consommant si peu d’espace, confirme le sociologue et urbaniste Yves Hanin, directeur de la CPDT. Cette densification est liée à la prédominance de la production d’appartements qui représente un logement sur deux désormais en Wallonie. La construction de ‘quatre façades’ est passée de 60% en 2000 à moins de 20% en 2018. Cela s’explique par la progression de la promotion par les développeurs immobiliers (6.500 logements par an) et par la réduction de l’autopromotion (5.800 logements). La création de logements par rénovation d’immeuble plafonne, quant à elle, à 3.000 unités.” Et tout cela dans un contexte où le boom démographique est finalement moins important que prévu, le Bureau du Plan ayant revu récemment ses prévisions à la baisse pour la Wallonie. Si le nombre de nouveaux ménages annuel atteignait les 13.800 unités en 2001, il chutera à 6.850 en 2041. Résultat: si on garde le même rythme, on produira trop de logements par rapport à la croissance de la population. Le Stop au béton se mettra en quelque sorte en place tout seul. Presque seuls les déménagements d’un bâti ancien vers un bâti nouveau mieux pensé et plus en phase avec les exigences énergétiques dynamiseront le marché. Ce qui entraînera alors une autre question: que faire de cet important parc de logements complètement obsolètes et qui exigent d’importants budgets de rénovation?>>> Lire aussi: Les rénovations énergétiques sont hors de portée de la moitié des propriétairesDensifier la Wallonie n’est pas un long fleuve tranquille. Les grands principes déclamés à Namur passent parfois difficilement la rampe sur le terrain communal. Un grand écart que certains bourgmestres acceptent d’effectuer pour préserver leur électorat local. “Les freins dépendent en effet surtout du bourgmestre et de sa volonté politique, précise Pierre-Alain Franck, administrateur à l’Union professionnelle du secteur immobilier. Ce n’est pas la taille du projet qui pose le plus souvent problème mais l’envie de transformer sa ville et de la développer.” Et Michel Dachelet, le numéro un de l’administration wallonne en matière d’aménagement du territoire, d’ajouter: “Il est normal qu’il existe des résistances à cette densification du territoire. Il est bien évidemment plus facile de construire là où il n’y a pas de voisins. Les reproches des riverains sont souvent les mêmes: mobilité, bruit, modification de leur environnement. Il est donc important de réfléchir à une densification raisonnée et de bien l’accompagner par divers aménagements.” Un accompagnement qui fait toutefois souvent défaut de la part des pouvoirs publics. Seules les charges d’urbanisme permettent de combler ce déficit. Or, l’aménagement d’espaces publics de qualité, d’espaces verts et d’infrastructures pour les modes doux est essentiel pour évacuer les derniers freins à la densification. >>> Lire aussi: Pascal Smet: “Ne pas densifier Bruxelles accélérera la bétonisation des deux Brabant”Aucune analyse sérieuse n’a encore été effectuée sur le sujet. La première devrait arriver d’ici l’été. Le ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Willy Borsus, a commandé une étude sur l’urbanisme post-Covid à la CPDT. Elle doit se pencher sur “l’avenir du foncier et de l’immobilier résidentiel”, sur le devenir des “villes, leurs commerces et leur attractivité” de même que sur les questions de mobilité. Reste que la densification post-Covid devrait peu différer de celle d’avant-Covid. Car les constantes sont bien là: vieillissement de la population, dualisation de la population entre ceux qui ont des difficultés à recourir à l’emprunt et les autres, de même que rareté croissante de l’espace à bâtir. “Les enjeux économiques vont devenir les plus importants freins à l’artificialisation des terres”, estime Jacques Teller, urbaniste à l’ULiège. Dans le même temps, il nous revient que le Stop au béton a du plomb dans l’aile. Prévu en deux temps, en 2025 et en 2040, il est peu probable qu’il voie le jour en Wallonie. Comme en Flandre, la plupart des experts butent sur son application sur le terrain. Les perspectives démographiques revues à la baisse, les politiques urbanistiques mises en place et le mouvement de densification déjà bien entamé devraient toutefois permettre de canaliser l’artificialisation du sol. Dans un premier temps du moins. Une vraie stratégie en la matière devra quand même ensuite être mise en place. “Ce qui est regrettable, c’est que la densification s’opère actuellement sans véritable organisation, relève Yves Hanin. On assiste à une absence de références urbanistiques, une promotion d’un urbanisme de rupture plutôt que d’intégration, le rejet de l’immeuble de plus de trois ou quatre étages et la crainte des flux de voitures, vu l’absence de réelles alternatives à l’automobile sauf dans les villes.” >>> Lire aussi: Coworking: les espaces inoccupés reprennent vieEnfin, notons toutefois que le télétravail pourrait quelque peu redistribuer les cartes car il remet sur le devant de la scène des communes de taille moyenne en y relançant l’activité économique locale. “Certains pourraient être tentés d’habiter un peu plus loin, estime Yves Hanin. Le télétravail amplifié avec le Covid pourrait inciter à investir dans l’autopromotion dans la partie du territoire disposant de réserves foncières au plan de secteur, vu que les terrains sont moins chers et que la demande en déplacement serait réduite à deux ou trois jours par semaine. Dans les régions situées en dessous de l’axe Thuin-Verviers notamment. Ce sera un élément à suivre.”