Rêver de remettre le pied à l'étrier: vers des territoires zéro chômeur de longue durée?

LA FIDUCIAIRE

Experts-Comptables ITAA

Les territoires zéro chômeur de longue durée pourraient faire leur apparition en Belgique l’an prochain. Les freins, questions et doutes sont nombreux. Mais on ne perd rien à essayer de remettre debout ceux qui ne le sont plus depuis si longtemps.

Au scrabble, la succession de ces lettres pourrait être intéressante: TZCLD. Dans la vraie vie aussi. Surtout celle des personnes éloignées de l’emploi depuis belle lurette. Car cet acronyme imprononçable les concerne directement. Les territoires zéro chômeur de longue durée, TZCLD, une expérience française de remise en selle professionnelle imaginée en 2016, pourraient bientôt voir le jour en Belgique. Ils figurent d’ailleurs dans les déclarations de politique gouvernementale fédérale, bruxelloise et wallonne.

Au scrabble, la succession de ces lettres pourrait être intéressante: TZCLD. Dans la vraie vie aussi. Surtout celle des personnes éloignées de l’emploi depuis belle lurette. Car cet acronyme imprononçable les concerne directement. Les territoires zéro chômeur de longue durée, TZCLD, une expérience française de remise en selle professionnelle imaginée en 2016, pourraient bientôt voir le jour en Belgique. Ils figurent d’ailleurs dans les déclarations de politique gouvernementale fédérale, bruxelloise et wallonne. Le projet TZCLD, conçu à l’origine par ATD Quart Monde France et lancé via dix projets pilotes en 2017, vient d’y être étendu à cinquante autres municipalités pour cinq ans. Il a pour ambition d’offrir un poste à durée indéterminée à des personnes durablement éloignées de l’emploi, sur base volontaire et à temps choisi, et destiné à répondre à des besoins collectifs, notamment environnementaux, qui ne sont pas encore comblés sur un microterritoire donné. En France, un comité local pour l’emploi rassemble tous les acteurs intéressés, puis crée une entreprise à but d’emploi (EBE) qui organise le travail de ces nouveaux salariés et gère l’affaire. Le tout, théoriquement, sans plomber les finances publiques puisqu’il s’agit de convertir en salaires le coût du chômage de longue durée. Le projet s’appuie sur trois postulats: nul n’est dépourvu de compétences ; le travail ne manque pas ; l’argent non plus, dès lors que le chômage de longue durée coûte cher à la collectivité et peut utilement être converti en salaires. Les TZCLD permettent en outre d’oeuvrer à la durabilité écologique et sociale d’un territoire. Quatre ans après leur lancement effectif en France, les TZCLD employaient, en janvier 2021, 809 personnes à durée indéterminée. Le bilan fait apparaître que le projet doit être réadapté sur certains points: l’expérience n’est financièrement pas à l’équilibre. L’Etat français verse 18 000 euros par an et par contrat signé en EBE, ce qui équivaut à un salaire payé au smic (salaire minimum). Mais il en coûte en fait 28 000 euros. Le chiffre d’affaires réalisé s’élève à quelque 5 000 euros ; manquent donc 5 000 euros. Les départements doivent désormais participer au financement du projet pour le rendre viable. “Mais la résilience d’un territoire ne se chiffre pas”, insiste André Denayer, le président de ATD Quart Monde Belgique. Parmi les autres points à améliorer: la formation des demandeurs d’emploi à garantir, l’encadrement au sein des EBE à professionnaliser et l’ouverture du projet à tout candidat, même s’il n’est pas ou plus inscrit comme chômeur. S’ils sont perfectibles, les TZCLD n’en constituent pas moins un changement complet de paradigme. Non seulement le demandeur d’emploi ne doit pas se fondre dans l’emploi qu’on lui propose mais c’est en partant de ses envies et compétences que l’on imagine un emploi pour lui. “Retrouver un poste à durée indéterminée métamorphose profondément les gens”, assure Paul Timmermans, président de la Chambre emploi-formation du bassin Hainaut-Sud et défenseur du projet. L’initiative part des acteurs et des besoins locaux, et non de l’Etat central. Enfin, on se détourne de l’esprit des politiques d’emploi actuelles, qui tendent à considérer qu’un individu sans emploi est responsable de sa situation et doit se justifier s’il ne trouve pas de travail. “Ce projet a un potentiel quasi subversif, résume Gaëtan Vanloqueren, porteur du projet au sein d’Actiris, à Bruxelles. Ce n’est pas la panacée mais c’est un outil. Il faut l’essayer. Il faudrait d’ailleurs plus de recherche et développement en politique d’emploi.” L’essayer? Fort bien. Mais la transposition de l’aventure française en Belgique est ardue, vu la structure institutionnelle du pays. Ici, l’Etat fédéral est à la manoeuvre pour le paiement des allocations de chômage, la concertation sociale, la politique salariale. Les Régions sont chargées de l’aide à la création d’emplois, du contrôle de la recherche d’emploi, de l’insertion et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Dans le cadre des TZCLD, il faut s’assurer que, si les Régions y investissent de l’argent, les bénéfices engrangés via l’augmentation du pouvoir d’achat, la TVA ou les impôts ne retourneront pas dans les caisses du seul Etat fédéral. Des pourparlers sont en cours avec le ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Dermagne, pour activer les allocations de chômage fédérales. La partie n’est pas gagnée, notamment car l’intérêt pour le projet, côté flamand, serait faible, Anvers et Gand mises à part. Où en est-on, donc? En Wallonie, une note d’orientation devrait être déposée au gouvernement avant la fin du mois de juin. Selon une étude, tenue secrète, que la ministre wallonne de l’Emploi Christie Morreale a commandée au cabinet Roland Berger, un appel à candidatures pourrait être lancé pour des territoires de 20 000 habitants maximum. Neuf communes auraient déjà manifesté leur intérêt. Les projets démarreraient en 2022 et s’ étaleraient jusqu’en 2024, selon un document de travail du cabinet dont Le Vif a obtenu copie, daté de mars 2021. Serait visé le public privé d’emploi depuis plus de deux ans. “Cette expérience pilote pourrait être menée même sans l’aval financier du fédéral”, assure-t-on au cabinet Morreale. La Wallonie s’appuierait par contre sur les structures d’aide et les employeurs existants. Exit donc l’entreprise à but d’emploi. “Les entreprises à but d’emploi sont un élément essentiel de la démarche, cingle Fabrice Eeklaer, secrétaire fédéral de la CSC Charleroi. Si c’est pour se rabattre sur les outils existants, qui ne fonctionnent pas, autant ne pas commencer! Nous ne cautionnerons pas le projet wallon s’il ne correspond pas à la philosophie du concept.” C’est le deuxième noeud de ce dossier: faut-il créer une nouvelle structure comme les entreprises à but d’emploi, selon le modèle français, ou s’appuyer sur les nombreux dispositifs déjà existants? La Wallonie compte au moins 115 000 chômeurs qui le sont depuis plus d’un an, dont 13 000 depuis neuf ans et 7 000 depuis six ans. “Les dispositifs destinés à ces populations sont nombreux et diversifiés mais ils sont trop axés sur la dimension emploi, ne permettent pas de partir de la personne pour construire une réponse et laissent un public hors radar difficile à toucher”, affirme le consultant mandaté par le cabinet Morreale dans son étude. A Farciennes, qui a manifesté son intérêt pour un projet pilote TZCLD, on constate qu’après être tombés de 33 à 18,2% depuis 2007, les chiffres du chômage stagnent en effet pour les plus éloignés de l’emploi. “Les dispositifs actuels ne fonctionnent que sur obligation, ajoute Patricia Richard, présidente du CPAS de Meix-devant-Virton, également intéressée par le projet. Les gens nous envoient des candidatures sans vouloir le job, juste pour se justifier auprès du Forem. Or, avec de petites compétences, on peut faire de grandes choses. Tout le monde doit avoir sa chance et la meilleure formation, c’est l’expérience de la vraie vie”. Cet enthousiasme n’est pas général. Pour Yves Martens, coordinateur du collectif Solidarité contre l’exclusion, renforcer les moyens des structures existantes devrait être une priorité. “On fait croire qu’il n’y aura plus de chômeurs de longue durée alors que très peu de gens seront concernés, pointe-t-il. Je ne vois pas la valeur ajoutée du projet s’il n’est pas activé par des professionnels de l’insertion. Cela me paraît très utopiste et peu applicable. Dire que personne n’est inemployable nie la réalité du chômage de longue durée. Mais il est vrai que, politiquement, cela fait joli dans les déclarations gouvernementales…” “Il y a des freins idéologiques aux TZCLD parce qu’ils forcent à penser autrement, éclaire Vincent Pestiaux, secrétaire régional de la FGTB Charleroi. Mais les premiers freins sont politiques et budgétaires”. Le scepticisme règne chez d’autres acteurs d’insertion professionnelle, qui soutiennent notamment les formules d’Articles 60 (1) ou les agences locales pour l’emploi. “Faut-il ajouter une couche de lasagne à la complexité des initiatives déjà soutenues par les pouvoirs publics?” interrogent les Cisp (Centres d’insertion professionnelle). Pour le consultant Roland Berger, qui a travaillé avec le Forem (2), le projet des TZCLD doit “éviter les redondances avec les acteurs existants, quitte à les faire évoluer. […] Les dispositifs actuels pourraient ainsi être adaptés pour étendre leur champ d’activités, d’utilisateurs et de publics cibles”. Le projet des TZCLD soulève bien d’autres questions, d’autres craintes: comment éviter une certaine forme de discrimination à l’embauche parmi les candidats volontaires? Comment assurer aux candidats un salaire décent, évidemment supérieur au montant du seuil de pauvreté, soit 1 230 euros net par mois pour un isolé et 2 584 euros pour un ménage de deux adultes et deux enfants, en 2019? Comment intégrer les exclus du chômage dans le projet? Comment ancrer la représentation démocratique des travailleurs, assurer leur formation, éviter l’écueil du risque de concurrence? “Que se passera-t-il avec ceux pour qui ça ne marchera pas? , interroge Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Comment éviter que les huissiers viennent saisir les biens de ceux qui auraient décroché un job et qui seraient endettés? Il ne faudrait pas non plus que les TZCLD servent d’alibi à l’Etat qui se désintéresserait dès lors des autres pauvres…” Les questions ne manquent donc pas. A Bruxelles, le ministre de l’Emploi Bernard Clerfayt ne fait pas non plus des bonds de joie à l’évocation de ce projet, même si la déclaration de politique régionale prévoit qu’un projet pilote sera mis en oeuvre dans les quartiers les plus pertinents. “Le gouvernement a considéré que ce ne serait pas une priorité en début de législature, notamment pour une raison budgétaire”, confirme Pauline Lorbat, porte-parole du ministre. La volonté est néanmoins de lancer au moins un projet avant 2023, à condition d’avoir un accord avec le fédéral sur les allocations de chômage.” Bruxelles compte quelque 38 000 personnes privées d’emploi depuis au moins deux ans, soit plus de la moitié de ses demandeurs d’emploi. “Il manque d’emplois à Bruxelles, insiste Tatiana Vial, directrice adjointe de la Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion (Febisp). Ce n’est pas un échec des politiques actuelles. Cela dit, il est vrai que les TZCLD pourraient fournir des emplois durables alors que les politiques d’insertion actuelles sont de transition et non de longue durée.” Plusieurs communes, dont Schaerbeek et Forest ont manifesté leur intérêt pour le projet TZCLD. Actiris est en pointe sur le sujet, “sans être mandaté”, souligne le cabinet Clerfayt. “Nous avons lancé une dynamique de coconstruction du projet avec tous les acteurs bruxellois, en février 2021, confirme le coordinateur Gaëtan Vanloqueren. Notre objectif est de présenter une note au cabinet de l’Emploi en juin 2021 pour un appel à projets en 2022.” Avec quel financement? Selon une étude réalisée par le département d’économie appliquée de l’ULB, un Bruxellois sans emploi coûte en moyenne 39 408 euros par an aux pouvoirs publics, si l’on additionne les dépenses consenties pour cette personne en non-emploi, et le manque à gagner en matière de cotisations sociales et d’impôts. La remise à l’emploi de cette même personne dans le cadre de l’expérience TZCLD coûterait entre 36 263 euros et 37 895 euros, selon ces chercheurs. Autrement dit, la remise en selle via les territoires zéro chômeur à Bruxelles serait moins coûteuse pour la Région que son maintien dans l’inactivité. Mais il n’y a pas consensus sur la viabilité financière du projet. “Nous ne donnerons notre aval que si des moyens suffisants sont dégagés, prévient Luca Ciccia, conseiller au service d’études de la CSC-Bruxelles. On soutient le projet dans ses principes mais on craint un coup de com peu opérationnel. Au mieux, on touchera 2 000 personnes en cinq ans. A Bruxelles, 30% des demandeurs d’emploi sont sans emploi depuis plus de cinq ans. Nous voulons une région zéro chômeur de longue durée et pas quelques miniterritoires. L’ambition doit être beaucoup plus forte. Il faut reconnaître un échec: il n’y a plus de lutte pour le plein emploi depuis trente-cinq ans.” Le projet fait manifestement débat. Mais c’est une expérience, qui peut être arrêtée si elle ne porte pas ses fruits. “Pour relever ce défi, résume Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux, il faudra accepter de remettre cent fois l’ouvrage sur le métier. […] Il faudra des lignes politiques ambitieuses et des dirigeants convaincus qu’il est urgent de changer de paradigme ; du courage et de la patience. Et si ce projet n’est qu’une étape, il aura le mérite du premier pas, le plus douloureux, celui qui force à sortir le pied du marécage et à se lancer dans la première foulée.”

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