Mondialement connue, la maison Hermès vient d’inaugurer sa 19e maroquinerie sur le sol français. Un ancrage délibérément local pour cette marque de luxe qui ne connaît pas la crise et qui perpétue son modèle d’entreprise familiale et artisanale, source d’emplois qualifiés et durables.
Elle a l’oeil pétillant et deux pansements aux doigts. A 29 ans, Charlotte travaille patiemment le cuir au sein de la maison Hermès. Elle est officiellement “artisan sellier-maroquinier” depuis un an déjà, mais elle ne maîtrise pas encore toutes les subtilités du métier. D’où les pansements aux doigts.
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Elle a l’oeil pétillant et deux pansements aux doigts. A 29 ans, Charlotte travaille patiemment le cuir au sein de la maison Hermès. Elle est officiellement “artisan sellier-maroquinier” depuis un an déjà, mais elle ne maîtrise pas encore toutes les subtilités du métier. D’où les pansements aux doigts. Charlotte sourit. Après plusieurs années passées dans l’enseignement en région parisienne, cette ancienne prof de math a décidé de changer d’horizon professionnel et de s’orienter vers une activité beaucoup plus manuelle. “Je n’ai aucun regret, confie la jeune femme, bien au contraire! L’enseignement est un métier usant, surtout lorsqu’on le pratique dans un environnement difficile comme le 93 (Charlotte oeuvrait dans un lycée du département de la Seine-Saint-Denis, Ndlr). J’ai donc profité d’une opportunité professionnelle de mon conjoint à Bordeaux pour me réorienter. Je n’avais aucune compétence dans le travail du cuir, mais grâce à Hermès, j’ai pu opter pour cette reconversion et, aujourd’hui, je suis très fière du chemin accompli.” Charlotte n’est pas un cas isolé. Dans la maroquinerie de Guyenne, inaugurée à Saint-Vincent-de-Paul (Gironde) il y a deux semaines à peine, 40 futurs artisans sont actuellement en formation. Comme l’ancienne prof de math, ils ont saisi l’opportunité offerte par Pôle Emploi – le Forem local – pour se construire un nouvel avenir professionnel. Aujourd’hui, ils écoutent, observent, apprennent et titillent le cuir. Après 18 mois passés sous l’oeil bienveillant de formateurs exigeants, ils pourront eux aussi prétendre à un statut d’artisan sellier-maroquinier, pour autant qu’ils se révèlent doués dans cette aventure singulière. A Saint-Vincent-de-Paul, la prestigieuse maison Hermès vient d’ériger sa 19e maroquinerie sur le sol français. Un bâtiment superbe qui accueillera à terme 260 employés spécialisés dans le métier du cuir. Très médiatisée, l’inauguration de la maroquinerie de Guyenne s’inscrit dans un calendrier d’ouvertures planifiées et mûrement réfléchies. Après la Gironde, ce sont effet les départements de l’Eure, des Ardennes et du Puy-de-Dôme qui verront pousser leur maroquinerie de luxe d’ici 2023. A chaque fois, ce seront entre 250 et 300 nouveaux emplois qui seront ainsi créés par Hermès dans une dimension délibérément locale lié au “savoir-faire français”, dixit l’entreprise familiale qui en est à sa sixième génération. Mais pourquoi cette accélération soudaine d’inaugurations programmées par la marque de mode? La réponse tient en quelques mots: l’offre ne suit tout simplement pas la demande au niveau international. Présente dans 45 pays à travers plus de 300 magasins, la maison Hermès affiche une croissance insolente depuis plusieurs années déjà (son chiffre d’affaires est passé de 2,8 milliards d’euros en 2011 à quasi 6,9 milliards en 2019) et peine à satisfaire toutes les nouvelles commandes, même en cette période plombée par le coronavirus. Bien sûr, la pandémie a freiné les flux touristiques et donc les achats des voyageurs aisés en France (-29% pour le chiffre d’affaires d’Hermès dans l’Hexagone en 2020), mais la crise ne s’est toutefois pas fait ressentir en Asie où la marque a enregistré une augmentation de 14% de ses ventes la même année (hors Japon), et certainement pas sur les ventes en ligne qui ont explosé. Au final, Hermès s’en sort donc très bien puisque son chiffre d’affaires global a reculé de 6% à peine en 2020 (passant à 6,4 milliards) – là où d’autres marques de luxe accusent des résultats moins réjouissants – avec un résultat net qui frôle 1,4 milliard d’euros. La reprise s’annonce même sous les meilleurs auspices puisque, au premier semestre 2021, le chiffre d’affaires d’Hermès a déjà atteint 4,2 milliards (+77% par rapport à 2020 et +33% par rapport à 2019 qui est une année “hors crise”), auréolé d’un résultat net de quasi 1,2 milliard sur cette période de six mois. Cerise sur le gâteau: pour satisfaire la demande grandissante de ses produits de luxe, la marque française a créé près de 1.200 emplois durant l’année “catastrophe” 2020 et continue, depuis le début de ce millésime 2021, à donner du travail à des centaines de nouveaux employés (Hermès emploie aujourd’hui près de 17.000 salariés dans le monde dont plus de 60% en France). Un rythme qui s’accélère, ces derniers temps, avec l’inauguration de nouvelles maroquineries. “Le rythme de croissance des sites de production, du recrutement et de la formation des nouveaux artisans est directement influencé par le rythme de croissance de nos produits, explique Guillaume de Seynes, directeur général du pôle amont et participations chez Hermès. La demande pour nos objets est toujours très forte et comme nous sommes sur un modèle d’entreprise artisanal et durable auquel nous ne voulons pas déroger, cela explique ce rythme soutenu d’inaugurations.” Mondialement connue, la maison Hermès joue la carte du modèle artisanal majoritairement made in France pour garnir ses étalages de matières et d’objets d’exception. Aujourd’hui, 80% de ses produits (vêtements, accessoires, parfums, montres, bijoux, maquillage, etc.) sont fabriqués sur le sol français et ce chiffre grimpe même à 100% pour tous les articles de maroquinerie-sellerie, le cuir étant “le savoir-faire historique” de la maison fondée en 1837, répète-t-on volontiers chez Hermès. Mais encore faut-il trouver la main-d’oeuvre qualifiée pour répondre aux défis de croissance de l’entreprise familiale. “Nous travaillons en étroite collaboration avec Pôle Emploi, enchaîne Guillaume de Seynes. Il y a bien sûr un appel à candidatures, mais il est important de préciser que le recrutement des artisans se fait sans critère d’âge, de sexe ou d’expérience professionnelle. Nous ne demandons aucune qualification et après une phase de tests, notamment de dextérité, nous sélectionnons des candidats qui suivent alors un cycle de formation de 18 mois afin d’acquérir les savoir-faire maroquiniers d’excellence de la maison. Nous avons aussi créé le 6 septembre dernier l’Ecole Hermès des savoir-faire, agréée par l’Education nationale.” Valeur essentielle de la maison Hermès, la formation des artisans se perpétue au fil des générations, dans un esprit de transmission hérité du compagnonnage d’autrefois. A la maroquinerie de Guyenne, ce sont aujourd’hui 40 artisans en herbe qui s’essaient aux métiers du cuir aux côtés d’artisans confirmés, dans un bâtiment naturellement lumineux où le bois et le béton se répondent en harmonie. Historiquement ancrée dans la notion de durabilité (“Le luxe, c’est ce qui se répare”, disait Robert Dumas, grand-oncle de l’actuel CEO Axel Dumas), la maison Hermès s’est aussi attelée à construire ses nouvelles maroquineries dans une démarche écoresponsable, sans toutefois tomber dans le travers de bâtiments sans âme et tristement identiques. “Chez Hermès, chaque site de production est unique et un vrai projet architectural, rappelle Guillaume de Seynes. On ne construit jamais la même maroquinerie. Il y a toujours un concours avec un architecte et ces dernières années, nous avons augmenté nos exigences en matière de développement durable sur la construction. Pour le site de Guyenne, 40% de l’énergie provient de panneaux photovoltaïques et il y a également un système de récupération des eaux de pluie pour alimenter les sanitaires et l’arrosage des espaces verts. Nous sommes dans une démarche très volontariste et le futur site de Louviers, en Normandie, sera d’ailleurs neutre en carbone.” Dans ce nouvel espace esthétiquement très éloigné de son ancienne école du “93”, Charlotte s’applique sur les coutures de son morceau de cuir. Il faudra entre 15 et 20 heures à l’ex-enseignante pour confectionner un sac Hermès dans son intégralité. C’est aussi l’intérêt de ce travail minutieux et créatif qui s’ouvre désormais à elle: voir un accessoire de mode se construire peu à peu sous ses mains expertes dans un environnement confortable qui valorise l’artisan. “Soyez fiers de votre travail, c’est le secret de la qualité!”, a clamé Axel Dumas, grand patron de la maison Hermès, à ses employés de Guyenne, le jour de l’inauguration de la maroquinerie. Cette fierté, Charlotte la ressent déjà, pleinement satisfaite de sa reconversion professionnelle. “J’ai fait le bon choix et ce nouveau métier est une belle surprise pour moi, conclut l’ex-prof de math. Bien sûr, le fait d’enseigner me manque un peu, mais certainement pas l’Education nationale! Cela dit, je pourrai peut-être un jour former, à mon tour, de jeunes employés chez Hermès. L’artisanat est un domaine porteur de transmission, et cette transmission est une valeur très importante ici.” A la maroquinerie de Guyenne, Charlotte se sent déjà chez elle et ce ne sont pas deux petits pansements aux doigts qui viendront perturber son nouvel équilibre de vie.