Cette année, DEME s’affranchit de sa maison mère, CFE. Le groupe de dragage et de services maritimes entrera également en bourse. “Mais nous restons fidèles à notre vision à long terme”, déclare Luc Vandenbulcke, son CEO.
L’offensive de fin d’année de DEME a été un succès. Début novembre, le groupe a conclu un contrat de 1,1 milliard de dollars (950 millions d’euros) pour le parc éolien offshore Coastal Virginia (CVOW). Un mois plus tard, l’actionnaire majoritaire Ackermans & van Haaren a décidé qu’à partir de l’été 2022, DEME quitterait sa société mère CFE et serait cotée sur Euronext Bruxelles.
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L’offensive de fin d’année de DEME a été un succès. Début novembre, le groupe a conclu un contrat de 1,1 milliard de dollars (950 millions d’euros) pour le parc éolien offshore Coastal Virginia (CVOW). Un mois plus tard, l’actionnaire majoritaire Ackermans & van Haaren a décidé qu’à partir de l’été 2022, DEME quitterait sa société mère CFE et serait cotée sur Euronext Bruxelles.Selon Luc Vandenbulcke, cela n’entraîne pas de pression supplémentaire. L’ingénieur civil a pris les rênes de DEME il y a trois ans. Même après l’introduction en bourse, il n’a pas l’intention de perdre de vue le long terme, même s’il devra rendre compte tous les trois ou six mois à des investisseurs impatients. “Nous rendons compte à CFE depuis des années. Notre avantage est que nous avons des actionnaires à long terme qui désirent le rester. Nous n’avons pas eu besoin d’entrer en bourse pour faciliter les acquisitions, car nous en avons déjà organisé par le passé : Hochtief, A2Sea, et SPT Offshore il y a peu. Nous cherchons une croissance durable. Mais nous sommes des entrepreneurs : les projets se suivent et ne se ressemblent pas toujours. J’espère être en mesure d’éviter la pression à court terme sur le terrain.”DEME est-elle prête pour son entrée en bourse ?LUC VANDENBULCKE. “Nous devons encore nous améliorer dans certains domaines, et nous y travaillons. Nous devons raconter notre histoire directement à nos investisseurs. Le journal De Tijd m’a récemment qualifié de prophète de l’offshore, mais ce terme ne rend pas justice à nos activités de dragage — la protection des côtes est de plus en plus cruciale — ni à nos branches énergie et environnement. Nous voulons nous développer dans chacun de ces domaines.”À quoi ressemblera DEME d’ici dix à quinze ans ?LUC VANDENBULCKE. “Nous serons toujours le leader du marché des projets éoliens en mer. Nous voyons le marché mondial de l’offshore croître de plus de 10 % par an. Dans le domaine du dragage, nous nous développons en même temps que le marché. Nous sommes également très attachés aux énergies alternatives : nous voulons jouer un rôle dans le domaine de l’hydrogène, par exemple. Le grand problème de l’électricité est le stockage et le transport. L’hydrogène et ses produits dérivés répondent à ces besoins.D’ici cinquante ans, il y aura un marché mondial des électrons et des molécules vertes. Pour cela, nous avons besoin d’énergies renouvelables, de ports et d’un réseau international. Ce sont des domaines qui nous sont familiers. Je m’attends à ce que le marché du pétrole et du gaz fasse une dernière poussée. Car la demande d’énergie reste élevée, et le gaz est considéré comme un combustible de transition.”La croissance future viendra-t-elle de grands projets à long terme ?LUC VANDENBULCKE. “Ce sera plus étalé, mais l’effet reste le même. Les opportunités sont infinies. La protection des côtes devient un enjeu majeur dans le monde entier. Comment faire face à un niveau de la mer qui augmentera de 3 mètres d’ici 2100 ? Si nous ne commençons à le faire qu’en 2099, cela ne fonctionnera pas. Et rien ne sert de construire un mur autour des Pays-Bas. Nous devons travailler avec la nature. Cela prend du temps : pour obtenir une forêt de chênes, il vous faut quatre-vingts ans. Les Pays-Bas consacrent des milliards d’euros chaque année à la défense des côtes, la Belgique envisage également des solutions à long terme. Ce sujet est moins abordé dans les autres pays.”La plus grande entreprise de dragage du monde n’est pas belge ou néerlandaise, mais chinoise. La concurrence de CHEC affecte-t-elle vos marges ?LUC VANDENBULCKE. “Les Chinois déterminent parfois les prix, mais ce n’est pas toujours le cas. Je constate également que le sentiment du marché est différent de celui d’il y a quelques années. À l’époque, tout le monde semblait vouloir faire des affaires avec la Chine. Ce n’est plus vraiment le cas. La sphère d’influence chinoise reste importante, mais vous ne trouverez pas de Chinois en Inde. On ne les voit pas beaucoup non plus à Taïwan, au Japon ou aux Philippines. Maintenant, nous devons surtout veiller à ce qu’il y ait des conditions de concurrence équitables en Europe. Les aides d’État sont interdites ici, mais CHEC est une entreprise d’État. Les autorités européennes doivent rester vigilantes à ce sujet.”Il y a deux ans, 70 % du chiffre d’affaires de DEME provenait de l’Europe. Maintenant, vous allez construire un parc éolien aux États-Unis et le port d’Abu Qir en Égypte pour plus de 300 millions d’euros. En tant que société cotée en bourse, cherchez-vous à répartir vos revenus sur le plan géographique ?LUC VANDENBULCKE. “Ces contrats n’ont rien à voir avec l’introduction en bourse, mais avec notre stratégie à long terme. Nous effectuons des dragages en Égypte, mais nous venons également de terminer un projet dans l’Elbe, nous avons le contrat pour l’Escaut et nous sommes actifs en Pologne. La situation est légèrement différente dans le domaine des parcs éoliens offshore. Nous avons toujours été persuadés que ce marché allait s’internationaliser. C’est le cas aujourd’hui. Nous voulons confirmer notre leadership sur le marché, alors nous suivons les tendances. La situation se stabilise en Allemagne et en Belgique, mais aux États-Unis, à Taïwan, au Japon, en Chine et en Corée du Sud, le développement de l’offshore ne fait que commencer. Les Américains ne construisent pas des fermes de 200 ou 300 mégawatts comme en Europe, mais visent les gigawatts. Nous disposons maintenant de la technologie et des équipements nécessaires pour construire des parcs de cette taille.L’offshore est en pleine mutation. Une pression sur les prix a été exercée ces dernières années, mais lorsque la demande reprendra, les marges s’amélioreront également. Je vois aussi les éoliennes flottantes percer : elles pourraient bien dépasser les 10 % de part de marché prévus d’ici 2030. La mer est vite trop profonde pour permettre de poser des fondations. En Californie, en Norvège, au Japon et ailleurs, les turbines flottantes sont la solution. En 2050, ce sera la technologie dominante.”Vous voulez rester un leader du marché de l’offshore, mais être partout à la fois est un exercice compliqué.LUC VANDENBULCKE. “Le marché est très diversifié. Chaque segment — turbines, fondations, protection contre l’érosion, pose de câbles — a sa propre concurrence. Dans les turbines, nous avons une part de marché de 40 % selon les années. Nous ne pouvons pas continuer comme ça, mais nous voulons rester numéro un. Idem pour les fondations : nous en avons installé 2 500 dans le monde, soit 25 à 30 % du total.”La branche environnementale reste un peu sous-développée : géographiquement limitée et assez spécifique. Restera-t-elle une activité centrale à long terme ?LUC VANDENBULCKE. “Nous avons fusionné les entreprises qui ont travaillé dans ce secteur au sein de DEME Environmental. Nous avons déjà assaini de nombreuses friches industrielles en Belgique et aux Pays-Bas, mais de nouveaux produits toxiques sont découverts en permanence. D’ici dix ans, des produits que nous rejetons encore aujourd’hui seront peut-être considérés comme toxiques. Dans notre centre de recyclage des sols à Kallo, nous traitons également la contamination au PFOS. Nous nous rendons aussi à l’étranger, mais nous essayons de maintenir la proximité. C’est un secteur qui demande de bonnes connaissances de la législation environnementale. Nous ne travaillerons donc pas hors d’Europe pour un client inconnu.Mais ce secteur est étroitement lié à nos activités de dragage. Nous construisons des infrastructures, nous déplaçons des boues et des sols. Et s’il y a de la pollution, nous pouvons la traiter.”DEME est également à l’avant-garde des projets d’exploitation minière en eaux profondes, c’est-à-dire l’extraction de minéraux au fond de la mer. Quand est prévue la récolte ?LUC VANDENBULCKE. “Nous suivons deux pistes. L’Autorité internationale des fonds marins ISA souhaite finaliser la réglementation d’ici 2023. Quel est le terrain de jeu ? Quelles sont les redevances à payer ? Quelle législation environnementale doit être respectée ? En parallèle, nous étudions l’impact environnemental et l’accueil du public. Nous sommes convaincus que l’impact est beaucoup plus faible que l’extraction classique, mais cela nécessite des études et des développements technologiques.”Quel est l’état d’avancement de l’affaire judiciaire concernant la fraude dans l’attribution d’un contrat autour du champ gazier de Yamal ?LUC VANDENBULCKE. “Le processus juridique suit son cours, et nous mettons la main à la pâte. Pour ceux qui pensent que cela fait partie intégrante des grands chantiers, pour moi, la limite entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas n’est pas vague. Si cela signifie que nous avons moins de succès sur certains marchés, qu’il en soit ainsi. La croissance durable exige la conformité.”Vous figurez régulièrement dans le classement des meilleurs employeurs. Trouvez-vous facilement du personnel ?LUC VANDENBULCKE. “De manière générale, oui, mais certains profils spécifiques demandent davantage de recherches. Les travailleurs sont notre plus grande préoccupation. Nous avons besoin de beaucoup de talents pour pouvoir nous développer, surtout dans un monde qui devient de plus en plus complexe. C’est pourquoi nous construisons les DEME Labs au siège social, qui offriront un lieu de travail tourné vers l’avenir. Nous avons demandé à nos collaborateurs comment ils voyaient leur travail dans dix ou quinze ans. Aurez-vous besoin d’un bureau, d’un endroit où discuter ensemble ou d’une pièce tranquille ? Les réunions auront-elles bientôt lieu dans le Metaverse ?Lorsque j’ai livré mon premier projet clé en main, notre équipe de gestion de projet comptait cinq ou six personnes. Aujourd’hui, elle compte facilement cinquante à soixante personnes, en raison des exigences plus élevées en matière de qualité, d’environnement, de communication, de gestion des contrats, etc. Il faut donc plus de personnes et plus de spécialisations par unité de chiffre d’affaires. Nous avons encore beaucoup d’ingénieurs, mais il nous faut aussi de spécialistes de la sécurité, de la qualité, des analystes financiers, et des spécialistes des RH.”Qu’attendez-vous de 2022 ?LUC VANDENBULCKE. “Un carnet de commandes bien rempli et des projets de taille (rire). L’entrée en bourse est un événement particulièrement passionnant. J’espère aussi que 2022 sera l’année de la fin de la pandémie. La situation sanitaire entraîne d’énormes problèmes logistiques.. Nous n’avons pas eu de contact direct avec certains partenaires depuis près de deux ans. Bien sûr, nous ne ferons plus jamais deux jours de voyage pour une réunion d’une heure. Mais il est important de pouvoir se regarder dans les yeux et de boire du saké ensemble.De manière plus générale, je crains que la polarisation ne s’accentue. Une communication de qualité est plus que nécessaire. Le niveau de vie dans le monde se stabilise ; l’Occident n’est pas le seul à consommer beaucoup d’énergie et d’eau. L’Europe devra se concentrer encore davantage sur ce qu’elle sait faire : la logistique, les produits pharmaceutiques, les produits chimiques, l’énergie offshore, les biotechnologies et, à terme, l’hydrogène. L’essor actuel de l’offshore est dû à des choix faits il y a vingt ans. Nous devons donc regarder loin devant nous et ne pas être trop préoccupés par les apports du moment.”Ce n’est pas vraiment le domaine d’excellence de la politique.LUC VANDENBULCKE. “Élaborer une vision à long terme est très difficile, j’en suis conscient. Je peux planifier dix, quinze ans à l’avance pour l’entreprise. En politique, c’est une éternité. Mais si nous continuons à penser en termes de quelques années, les extrêmes qui capitalisent sur le problème du quotidien en profiteront. Ce n’est un reproche pour personne, car j’ai beaucoup de respect pour les politiques. Mais ces raisonnements à court terme sont difficiles à combiner avec des problèmes comme l’énergie et le climat.”Comme le prouve la sortie du nucléaire.LUC VANDENBULCKE. “C’est un débat social très complexe, sans aucun gagnant à la fin. Je conseille à tout le monde de s’imaginer dans quinze ans. D’ici là, il y aura beaucoup de voitures électriques et de pompes à chaleur, par exemple. Les Pays-Bas veulent dépenser 5 milliards d’euros pour voir s’ils peuvent construire deux nouveaux réacteurs nucléaires. Au Royaume-Uni, nous travaillons sur le réacteur nucléaire de Hinkley Point. Il coûtera 21 milliards d’euros, soit bien plus que prévu, et le prix de l’électricité sera garanti à 92,5 GBP (110 euros) par mégawattheure pendant 35 ans. J’entends peu parler de cela dans le débat actuel.On parle beaucoup des techniques de pyrolyse pour produire de l’hydrogène vert dans les centrales à gaz, mais elles n’existent pas plus que les petits réacteurs nucléaires modulaires dont on parle maintenant. La plus grande certitude est que les énergies renouvelables ne feront que gagner en importance.”Pendant ce temps, les prix de l’énergie s’envolent.LUC VANDENBULCKE. “Ces prix élevés vont en partie accélérer la transition énergétique. Il y a quinze ans, on s’est moqué de moi lorsque j’ai prédit que les énergies renouvelables deviendraient la source d’énergie la moins chère. Maintenant, c’est un fait.”