Ebénistes, chocolatiers, bijoutiers…, la Belgique compte des dizaines de milliers d’artisans, dans une multitude de domaines. Pourtant, d’un point de vue légal, rien ou presque ne distingue ou ne protège ces professionnels, à mi-chemin entre ouvriers et artistes, par rapport aux autres indépendants ou PME.
Contrairement à son homologue français, l’artisan belge ne bénéficie pas d’un statut protégé juridiquement, avec pour conséquence qu’à peu près n’importe quel professionnel peut se revendiquer artisan dans notre pays. Pour tenter de pallier cette situation, les autorités fédérales ont lancé en 2016, via le SPF Economie, le label baptisé “Artisanat certifié”. Celui-ci demeure à ce jour la seule forme de reconnaissance légale du caractère artisanal d’une activité professionnelle en Belgique.
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Contrairement à son homologue français, l’artisan belge ne bénéficie pas d’un statut protégé juridiquement, avec pour conséquence qu’à peu près n’importe quel professionnel peut se revendiquer artisan dans notre pays. Pour tenter de pallier cette situation, les autorités fédérales ont lancé en 2016, via le SPF Economie, le label baptisé “Artisanat certifié”. Celui-ci demeure à ce jour la seule forme de reconnaissance légale du caractère artisanal d’une activité professionnelle en Belgique. Selon le ministère, cette reconnaissance permet aux artisans certifiés de jouir d’une plus grande visibilité auprès du public, voire de booster leur activité grâce, notamment, à un logo, un répertoire qui leur est réservé ou encore la Journée de l’Artisan à laquelle eux seuls peuvent participer. “Nous avons également constaté que les artisans certifiés préféraient travailler entre eux. Ainsi, un boulanger certifié préférera généralement vendre les chocolats d’un chocolatier lui aussi reconnu”, dit-on au SPF Economie. Pour pouvoir arborer le logo, les candidats doivent constituer un dossier qui sera examiné par le jury de la commission Artisans du SPF. Trois critères sont principalement pris en compte: le caractère “authentique”, l’importance donnée au travail manuel et un savoir-faire axé sur la qualité, la tradition, la création ou l’innovation. Et trois prérequis sont indispensables: être inscrit à la Banque-Carrefour des entreprises pour l’exercice d’une ou plusieurs activités ayant un but lucratif, avoir moins de 20 travailleurs et exercer une activité qui consiste en la production, la transformation, la réparation ou la restauration d’objets ou encore la prestation de services. Fin de l’an dernier, 1.925 entreprises actives disposaient de cette reconnaissance légale valable pour une durée de six ans: 65% en personne physique et 35% en personne morale. En moyenne, un peu plus de 200 nouvelles reconnaissances ont été accordées ces dernières années, ce qui est évidemment très peu. Selon les chiffres du SPF Economie, environ 70% des candidatures sont acceptées (pour 30% de refus, d’abandons, etc.). Celles-ci concernent principalement des activités liées aux produits alimentaires (21,51%), à l’ameublement et la décoration d’intérieur (11,42%), au travail du bois (11,03%), à la mode (9,94%), aux produits de luxe comme la bijouterie, l’horlogerie et le parfum (6,99%), à la construction (6,21%), la céramique (5,32%), etc. “La procédure est plutôt simple, explique Eric Mercenier, artisan ferronnier à Schaerbeek depuis une trentaine d’années et gérant de la SPRL Fer à Souder. “J’ai présenté ma candidature auprès du ministère en 2017. J’ai été reçu là-bas et je leur ai montré des photos de certaines de mes réalisations. Ils ont également vu l’état de mes mains et en ont conclu que j’étais dans le bon au niveau du travail manuel ( rires). C’est passé comme une lettre à la poste.” Maxime Pliester, propriétaire et gérant de la chocolaterie artisanale schaerbeekoise Concept Chocolate, ne dit pas autre chose… Même s’il a dû s’y prendre à deux fois pour décrocher le sésame. “La première fois, je n’avais pas pris le temps d’étayer suffisamment mon dossier, ni d’aller le défendre devant le jury. Mais lorsque le covid est arrivé, j’ai enfin pu m’atteler à une série de choses que j’avais trop longtemps reportées au lendemain, dont cette certification. Et avec un bon dossier, c’est passé directement.” Si Maxime Pliester n’avait dans un premier temps pas pris la peine d’accorder beaucoup d’importance à sa candidature, c’est notamment parce que le label “Artisanat certifié” souffre encore aujourd’hui d’un manque criant de visibilité, tant vis-à-vis des professionnels que des consommateurs. Le SPF Economie a beau communiquer régulièrement sur le sujet au travers de ses différents canaux ou organiser chaque année la Journée de l’Artisan, rien ne semble y faire, jusqu’à présent. “Ce n’est pas quelque chose auquel les gens font particulièrement attention, estime le patron de Concept Chocolate. Peut-être que je n’exploite pas suffisamment la certification dans ma communication. Mais d’un autre côté, personne ne me l’a jamais demandée. Si on interroge des personnes dans la rue, je ne suis pas sûr qu’une sur dix connaisse le label. Ce n’est pas comme les étoiles devant un restaurant. La Journée de l’Artisan est davantage connue, mais aux yeux du grand public, elle n’est pas liée au label.” Les quelque 2.000 certifications, sur un total de plus de 270.000 indépendants, TPE et PME qui pourraient potentiellement entrer dans les critères, tendent à démontrer que les artisans connaissent également assez peu le label. “Selon moi, il n’y a pas assez de communication autour de la certification, confirme Eric Mercenier. Je connais un tas de gens qui travaillent très bien et qui n’ont pourtant pas le label. Ils ne sont sans doute même pas au courant qu’il existe. Personnellement, je suis tombé dessus complètement par hasard.” Le hasard, c’est également ce qui a conduit Maxime Pliester à faire certifier sa chocolaterie puisque c’est sa… voisine, employée par le SPF Economie, qui lui en avait parlé à l’époque. “L’Etat devrait vraiment mettre ce logo plus en avant, estime-t-il. J’ai un peu l’impression qu’on a lancé ce label juste pour pouvoir dire que l’on faisait quelque chose pour les artisans en Belgique…” “A la base, quand le gouvernement a décidé de créer une reconnaissance légale des entreprises artisanales, cela devait être le début d’un processus, se souvient Benoît Rousseau, directeur juridique de la Fédération patronale interprofessionnelle SDI. Mais malheureusement, cette reconnaissance n’est toujours couplée à aucune mesure particulière de promotion, de valorisation, ou de soutien du secteur, comme des réductions de charges fiscales, un taux de TVA particulier, etc. Et à partir du moment où le gouvernement n’a jamais été plus loin, il n’y a pratiquement aucun intérêt pour les artisans à se faire reconnaître. Il y a bien le répertoire des artisans, mais celui-ci est totalement méconnu des consommateurs…” La déception du SDI est d’autant plus grande que le secteur de l’artisanat est en bonne évolution en ce moment. “On voit de plus en plus de citoyens mettre en avant l’économie locale, les produits fabriqués à la main, les matériaux durables… Les artisans rencontrent tous ces critères. Le problème, c’est qu’ils doivent faire face à la concurrence en quelque sorte déloyale de la grande distribution et de l’industrie qui parvient à produire à des prix imbattables.” Il n’est toutefois pas trop tard pour transformer le label “Artisanat certifié” en véritable succès, assure Benoît Rousseau. “Si un plan de valorisation était lancé par les autorités publiques et que la reconnaissance légale soit le critère pour en bénéficier, vous verriez alors énormément d’artisans envoyer leur candidature.” Sans oublier que cela boosterait également indirectement les nouvelles créations d’entreprises artisanales, avance encore le directeur juridique du SDI. “En mettant en place des avantages, il est fort probable qu’un certain nombre de personnes, qui n’ont pour l’instant pas le projet de monter une activité, soient tentées de se lancer dans l’aventure. Toute l’économie, et même la société en général, en sortirait gagnante.” Du côté du cabinet du ministre des Indépendants, David Clarinval, il nous revient qu’un projet de loi a fait l’objet l’année dernière d’un avis du Conseil supérieur des indépendants et PME. “Sur la base de cet avis, le projet de loi a été revu et l’intention du ministre, avant d’aller plus loin, est d’organiser une nouvelle concertation relative à l’adaptation de cette loi et à la valorisation du label artisan, nous a-t-on déclaré. Un nouveau cadre législatif devrait entrer en vigueur pour la prochaine Journée de l’Artisan prévue début novembre. A cette occasion, un nouvel outil de géolocalisation pour les artisans labellisés devrait également être opérationnel.” En définitive, et malgré les limites actuelles du label, l’ensemble des acteurs que nous avons interrogés se montrent globalement positifs à son égard, estimant qu’il s’agit d’une initiative “qui va dans le bon sens”. Il constitue non seulement une certaine garantie pour les consommateurs mais également une forme de reconnaissance envers des professionnels qui ont le sentiment d’avoir été trop souvent oubliés. “En Belgique, beaucoup de choses ont été faites pour la conservation du patrimoine, mais très peu pour la conservation des métiers de patrimoine, pointe Eric Mercenier. Quelque part, ce label défend un peu mon métier d’artisan. Mais est-ce que cela me rapporte quelque chose? Je ne le pense pas. C’est plus sentimental qu’économique. L’idéal serait bien sûr d’arriver aux deux.” Mais même dans ces conditions, le SDI conseille à ses membres de se faire certifier. “La procédure n’est pas particulièrement coûteuse, et c’est de toute façon mieux que rien”, avance Benoît Rousseau. Quant à Maxime Pliester, il conseille également aux autres artisans de passer la certification. Pas dans l’optique de doper leur business mais plutôt dans celle de booster le label. “Plus il y aura de personnes qui se font certifier, plus le grand public verra le logo et se posera des questions à son sujet. Et à la fin, tout le monde y gagnerait: les artisans, les consommateurs et même l’Etat, qui aura alors un label que les gens recherchent vraiment.”