Dimanche 15 août 1971: quatre ans avant la guerre du Vietnam, le président américain prononce un discours fleuve ayant pour thème principal “une nouvelle prospérité sans guerre”.
Ce dimanche-là, Richard Nixon signale que la convertibilité du dollar est suspendue, prétextant la nécessité de le défendre contre les spéculateurs. Il rassure ses compatriotes: “Si vous voulez acheter une voiture étrangère ou voyager à l’étranger, [cette dévaluation] pourrait diminuer votre pouvoir d’achat. Par contre, si vous faites partie de l’immense majorité des Américains qui achète américain, votre dollar vaudra demain autant qu’aujourd’hui”. Une dévaluation présente en effet toujours un côté protectionniste…
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Ce dimanche-là, Richard Nixon signale que la convertibilité du dollar est suspendue, prétextant la nécessité de le défendre contre les spéculateurs. Il rassure ses compatriotes: “Si vous voulez acheter une voiture étrangère ou voyager à l’étranger, [cette dévaluation] pourrait diminuer votre pouvoir d’achat. Par contre, si vous faites partie de l’immense majorité des Américains qui achète américain, votre dollar vaudra demain autant qu’aujourd’hui”. Une dévaluation présente en effet toujours un côté protectionniste… “Je me souviens très précisément du moment où j’ai entendu cette information à la radio, raconte l’économiste Bruno Colmant, membre de l’Académie royale de Belgique, qui s’est passionné pour ce séisme monétaire. D’autant que le journaliste l’a commentée par ces mots: ‘ce qui vient de se passer va conditionner le monde financier jusqu’à la fin du 20e siècle’. Quelle vision! J’avais 10 ans et cela m’a vivement impressionné.” Une vocation d’économiste était née… “Le système financier mis en place à Bretton Woods en 1944 (lire l’encadré “Bretton Woods: étalon-or ou étalon-dollar?” ci-dessous) a bien fonctionné puisque le décollage économique de l’après- guerre a été facilité par cette stabilité des cours du change. Problème: la devise dominante, donc le dollar, devait fournir de la liquidité aux autres participants. Autrement dit, les Etats-Unis étaient obligés d’être en déficit par rapport au reste du monde. Il a fini par exister beaucoup trop de dollars par rapport à la quantité d’or détenue par Washington. Même s’il avait été convenu à Bretton Woods qu’aucune banque centrale ne demanderait le remboursement de ses dollars en or, l’Allemagne a fini par franchir le pas, lasse d’avoir accumulé une montagne de dollars du fait de sa balance commerciale largement excédentaire. “On le sait peu, mais c’est l’Allemagne, accompagnée des Pays-Bas, qui a précipité la décision du président américain”, souligne Bruno Colmant. Quelle réponse pouvait-on apporter à ce surplus de dollars? On aurait pu dévaluer le billet vert par rapport à l’or, en précisant qu’il faudrait dorénavant 50 dollars, par exemple, et non plus 35, pour obtenir une once d’or. A la manière de ce que fit le président Franklin Roosevelt en 1934. Il porta la parité de 20,67 à 35 dollars l’once, une dévaluation de 41%. Et ceci un an après avoir interdit le commerce et la détention d’or physique par les citoyens américains. Cette mesure, prise dans le cadre du New Deal en réponse à la Grande Dépression, ne sera véritablement levée qu’en 1974 par le président Gerald Ford. Autre possibilité: une réévaluation des autres devises par rapport au dollar. Avec pour conséquence désastreuse que tous les détenteurs de dollars à travers le monde se voyaient automatiquement appauvris. Une situation difficilement concevable pour une devise de référence devant inspirer confiance. Finalement, Richard Nixon décida quand même de dévaluer le dollar, mais par la bande: en abandonnant sa convertibilité. La devise américaine perdit aussitôt 20%, un recul qui atteindra quelque 40% à la fin de la décennie. Techniquement, l’opération s’est réalisée en trois étapes, l’abandon total et officiel de la convertibilité des devises en or ayant été acté par les accords de la Jamaïque signés en janvier 1976 par les ministres des Finances formant le comité monétaire du FMI présidé par le Belge Willy De Clercq. Richard Nixon a pris sa décision en concertation avec quelques conseillers qu’il invita à Camp David, lieu de villégiature officiel du président américain: Paul Volker, George Shultz et John Connally. Ces trois personnalités deviendront légendaires sur la scène économique américaine. Paul Volker sera nommé en 1979 président de la Réserve fédérale, la banque centrale, avec pour tâche de briser l’inflation galopante de la décennie. Pour ce faire, il portera le taux directeur de la Fed jusqu’à 20% en juin 1981! George Shultz, mort à plus de 100 ans en février dernier, était alors directeur du Budget. Il deviendra secrétaire d’Etat sous Ronald Reagan. John Connally est un rescapé de l’attentat qui coûta la vie au président Kennedy le 22 novembre 1963 puisque, alors gouverneur du Texas, il était à ses côtés et fut grièvement blessé. Il est resté dans l’histoire pour avoir déclaré en 1972 à une délégation européenne s’inquiétant de la volatilité de la devise américaine, alors qu’il était secrétaire au Trésor (l’équivalent de ministre des Finances): “Le dollar est notre devise, mais votre problème”. La dévaluation du dollar aura des conséquences aussi importantes que durables. L’explosion des prix pétroliers décidée par les producteurs du Moyen-Orient ne découle pas seulement de la guerre du Kippour d’octobre 1973 mais aussi du fait que ces pays voyaient leurs revenus en dollars perdre de la valeur, soutient Bruno Colmant. L’inflation qui va alors dévaster les années 1970 engendrera le néo-libéralisme. “Avec Margaret Thatcher à Londres en 1979 et Ronald Reagan à Washington en 1981, bien sûr, mais en réalité, c’est Paul Volker qui est le précurseur du néo-libéralisme, souligne l’économiste. Nommé président de la Réserve fédérale, il a déclaré qu’il fallait absolument stabiliser la valeur du capital après une petite décennie de dépréciation. Depuis le 15 août 1971, et plus encore depuis 2008, le monde connaît le système du fiat money, la monnaie fondée sur la seule confiance que l’on attribue aux banques centrales. “En fait, la monnaie qui est imprimée aujourd’hui est essentiellement garantie par les obligations d’Etat achetées par les banques centrales. Le schéma est simple: le passif des Etats devient l’actif des banques centrales, dont le passif est représenté par la monnaie”, résume l’économiste. L’étalon-or est loin, très loin…