L'auteure Carolyn Steel et le “bon vivre” au 21e siècle : “L'alimentation est trop bon marché”

LA FIDUCIAIRE

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Selon Carolyn Steel, les oppositions biologique/industriel, technologie/tradition, local/mondial sont fausses. Cette auteure et architecte urbaniste britannique constate combien nous évoluons vers une économie plus locale, mais s’inquiète d’une polarisation simpliste. “Nous ne cesserons pas de boire du café… Les gens descendraient dans la rue si on leur interdisait le café!”

Dans son dernière ouvrage, Carolyn Steel évoque souvent la question du “bon-vivre”. L’auteure y explique dans quelle mesure ce bon-vivre sera différent au 21e siècle par rapport au siècle précédent, observant un shift vers un mode de vie plus local et proche de la terre, même en ville. Une réflexion qu’elle développe en partant de la nourriture, ce “grand connecteur” puisque chacun doit manger tous les jours.

Dans son dernière ouvrage, Carolyn Steel évoque souvent la question du “bon-vivre”. L’auteure y explique dans quelle mesure ce bon-vivre sera différent au 21e siècle par rapport au siècle précédent, observant un shift vers un mode de vie plus local et proche de la terre, même en ville. Une réflexion qu’elle développe en partant de la nourriture, ce “grand connecteur” puisque chacun doit manger tous les jours. Dans son premier livre, Ville affamée, Carolyn Steel analysait déjà comment l’approvisionnement en nourriture a déterminé les civilisations – son trajet allait de la campagne au marché, à la table de cuisine et enfin à la décharge, à travers terres et mers. Il lui a fallu 10 ans pour écrire la suite de cet ouvrage. Il s’intitule Sitopia, du grec sitos (nourriture) et topos (lieu). La penseuse utilise ce terme pour rappeler combien ce qu’on ingère façonne également notre monde. Au départ d’une assiette de nourriture, le livre évolue à chaque chapitre en cercles de plus en plus larges: la signification des aliments pour notre corps, notre maison, la société et l’économie, la relation entre la ville et la campagne, la nature et notre conception du temps.Trends-Tendances. En Flandre, un juge a interdit cette année l’agrandissement d’un élevage de volailles car l’azote produit allait nuire à la nature environnante. Résultat, de nombreuses autres entreprises se sont inquiétées, craignant qu’on leur suspende leur permis d’exploitation… Carolyn Steel. C’est un exemple intéressant. Notre pensée économique dominante n’est pas compatible avec la conscience environnementale croissante de notre société. Néanmoins, il est étonnant de constater à quel point les gens vivent bien dans une situation de dissonance cognitive. D’une part, il y a l’idée d’un bon-vivre fondé sur une croissance économique débridée, de l’autre, les dangers inhérents au changement climatique. Nous savons que ce n’est pas tenable, mais nous sommes incapables de l’admettre. Parfois, on constate ce paradoxe au cours d’un même journal télévisé. Une première personne affirme que notre économie progresse de 5%, ce qui est un point positif. Et ensuite, on apprend l’affreuse nouvelle que la Grèce est en feu. Nous n’admettons pas qu’il y a un lien entre les deux événements. L’exemple de l’élevage de volailles est intéressant car les deux univers parallèles de la pensée économique s’y rencontrent. C’est un de ces moments où l’on voit, comme dans le conte, que l’empereur ne porte pas de vêtements. En effet, que dit le juge? Les émissions supplémentaires d’azote de cette exploitation sont-elles trop élevées pour le village, pour la Belgique ou pour le monde? En fait, le juge dit que nous devons arrêter de manger autant de volaille. Toujours en Belgique, le ministre bruxellois de l’Environnement Alain Maron (Ecolo) a proposé d’acheter des terres agricoles juste à l’extérieur de Bruxelles afin de les exploiter dans les circuits courts. Tout le monde lui a ri au nez. Un homme politique a même qualifié son idée de moyenâgeuse. Qu’en pensez-vous? La Belgique ne peut pas se nourrir uniquement par elle-même et les Belges ne cesseront évidemment pas de boire du café. Les gens descendraient dans la rue si on leur interdisait le café… Donc bien sûr que les choses sont plus compliquées. Il ne suffit pas de dire que nous devons planter des pommes de terre localement. C’est ce que les communistes ont fait et nous avons vu ce que cela a donné. Mais la proposition de ce ministre a au moins le mérite d’exprimer le problème. Lorsque les gens attaquent cet homme politique, ou m’attaquent moi lorsque j’affirme que nous devrions produire davantage de nourriture localement, ils dénigrent en fait l’aspect utopique de ces idées. C’est pourquoi j’utilise le mot “sitopia”, et non “utopie” dans mon livre. Je ne dis pas que nous pouvons nourrir tout Londres avec ses campagnes. Ce n’est pas possible. En revanche, je suis d’avis qu’il faut produire le plus possible de nourriture dans les villes et alentours. Avec son Green Deal, la Commission européenne entend transformer notre modèle agricole. La stratégie “De la ferme à la table” vise à multiplier les circuits courts et à révolutionner l’agriculture industrielle. Pensez-vous que cela soit réaliste? Ce sera un échec si nous ne changeons pas notre mode de vie. L’alimentation est trop bon marché. L’idée du bon-vivre se fonde sur une nourriture bon marché. Mais cela n’existe pas. Là encore, il s’agit d’un exemple de dissonance cognitive. Si vous voulez que les aliments soient bon marché, impossible d’avoir des agriculteurs biologiques, alors que nous avons précisément besoin de bien plus d’agriculteurs pratiquant une agriculture régénératrice. Nous devons donc évoluer vers une nouvelle conception du bon-vivre, qui repose sur le fait d’être proche de la nature, de fabriquer des choses, d’être autonome, d’avoir plus de temps. Nous devons replacer la nourriture au coeur de notre société et nous demander à quoi ressemblerait une société dans laquelle tout le monde mangerait bien. Parce que vous ne pouvez pas bien manger si vous n’avez pas le temps, si vous n’avez pas d’argent, si vous n’avez pas d’endroit pour manger, si la paix ne règne pas. Il s’agit d’une idée radicale, car elle impose une réforme et une redistribution de l’impôt et de la terre. Il faut aussi élaborer une économie respectant la capacité naturelle de la planète. Je sais que le fait de rendre la nourriture plus chère est une dynamite politique. Ce sont des discussions très chargées sur le plan émotionnel. Mais tout le monde n’a pas les moyens de payer son alimentation plus cher. Pendant le confinement, nous avons vu des gens confectionner leur propre pain ou commencer à jardiner, mais la consommation d’aliments à emporter, des en-cas rapides, bon marché et souvent malsains, a aussi augmenté. Au Royaume-Uni, la société se divise en classes sociales. Dès qu’on déclare préparer son propre pain au levain, on est considéré comme une personne appartenant à la classe moyenne. Mais pourquoi la confection de son propre pain serait-elle un plaisir réservé à la classe moyenne? Cela ne tient pas. Le Royaume-Uni a une des alimentations les plus industrialisées au monde. De nombreux Britanniques ne savent pas cuisiner. Il est très significatif que, dans les supermarchés, outre le papier-toilette, les gens aient surtout fait des réserves de conserves de tomates et de pâtes… Bon nombre de supermarchés ont eu des excédents d’aliments frais. Tout le monde devrait pouvoir cuire son pain ou faire pousser ses légumes. Or, quand on rentre chez soi après une longue journée de travail, on ne va évidemment plus se lancer dans la cuisson d’un pain au levain. Vous dites que nous devons évoluer de la simple consommation à un mix de production et de consommation. Qu’est-ce que cela signifie? Quand vous faites votre pain, vous ressentez l’incroyable satisfaction de réaliser quelque chose de vos propres mains. Si vous faites cela et que vous rendez votre famille heureuse, vous n’aurez probablement pas besoin d’acheter un sac à main hors de prix. Au 20e siècle, beaucoup considéraient que la consommation était une part intégrante du bon-vivre ; ils la voyaient comme une compensation pour le manque de sens dans leurs activités professionnelles ou dans leur vie privée. Je ne dis pas que nous devrions tous devenir des fermiers subvenant à leur propre subsistance. Mais cultiver sa nourriture donne un réel sentiment de satisfaction, cela rythme la vie. Vous qualifiez les suites de la crise financière de 2008 d’occasion manquée parce qu’elles n’ont pas apporté de changement. Selon vous, la pandémie de coronavirus nous offre une nouvelle chance. Par exemple, de nombreux employés souhaitent travailler bien plus à domicile. Nous n’aurons plus jamais une aussi belle occasion d’évoluer vers cette autre forme de bon-vivre. Le marché immobilier est en plein boom, plus personne ne veut vivre à Londres, tout le monde veut aller à la campagne. La pandémie nous a montré ce que signifie réellement l’internet: de nombreuses personnes, où qu’elles soient dans le monde, peuvent exercer leur métier et mener une vie agréable. Les entreprises ne s’attendent pas à ce que tous leurs employés reviennent au bureau. Elles créent des hubs régionaux. En réalité, c’est le modèle de la cité-jardin. Il ne reste plus qu’à ajouter les agriculteurs ( rires). Il est ironique de constater que la crise du coronavirus a rendu possible bon nombre de mes recommandations: une réflexion plus locale, des quartiers forts en ville et à la campagne, plus de temps. Mais je pense que les politiciens sont terrifiés à l’idée d’évoluer dans ce sens car ils n’ont aucune vision à ce sujet. Que conseillez-vous aux chefs d’entreprise? Toute entreprise ayant une vision et une idée claire du bon-vivre au 21e siècle bénéficiera d’un grand soutien. Cela répond aux aspirations de tous. Nous avons une opportunité incroyable d’être bien récompensés en faisant ce qui est juste, car nous avons besoin d’une énorme transformation. Le bâtiment de la Bourse à Bruxelles est un bel exemple de transformation. En raison de la numérisation, les courtiers l’ont quitté il y a de nombreuses années. Il est actuellement en cours de travaux pour devenir un musée de la bière et un centre d’expérience pour les brasseurs. Cela démontre comment un marché peut évoluer d’un espace physique à quelque chose qui est suspendu dans l’air ( elle fait référence à la numérisation, Ndlr), puis la bière revient pour remplacer cela. Si les exploitants agricoles pouvaient aussi revenir y vendre leur propre bière, la boucle serait bouclée ( rires).

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