Koen De Leus (BNP Paribas Fortis): “L'après-crise pourrait être l'occasion d'un 'reset' de l'économie”

LA FIDUCIAIRE

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Si l’on s’y prend bien, nous pourrions connaître après cette crise un rebond de la croissance qui ferait penser à celui de l’après-guerre. Mais cela nécessite un fort investissement public et une refonte des modèles d’affaires des entreprises, avertit Koen De Leus, économiste en chef de BNP Paribas Fortis.

A quelle vitesse l’économie belge va-t-elle redémarrer après cette crise? Certes, les deux prochaines années profiteront d’un effet de rattrapage: les experts de BNP Paribas Fortis tablent sur un taux de croissance de 4,8% cette année et de 3% l’an prochain. Mais ensuite, à quoi faut-il s’attendre? Certains imaginent déjà que nous allons vivre de nouvelles “années folles” et une forte croissance comme celle que les survivants des deux guerres mondiales ont connue. Mais d’autres estiment que notre économie en sortira plus anémiée encore comme après la crise de 2008.

A quelle vitesse l’économie belge va-t-elle redémarrer après cette crise? Certes, les deux prochaines années profiteront d’un effet de rattrapage: les experts de BNP Paribas Fortis tablent sur un taux de croissance de 4,8% cette année et de 3% l’an prochain. Mais ensuite, à quoi faut-il s’attendre? Certains imaginent déjà que nous allons vivre de nouvelles “années folles” et une forte croissance comme celle que les survivants des deux guerres mondiales ont connue. Mais d’autres estiment que notre économie en sortira plus anémiée encore comme après la crise de 2008. Pour y voir plus clair, Koen De Leus, l’économiste en chef de BNP Paribas Fortis, et son équipe ont analysé les crises du passé pour tenter de prédire l’avenir. TRENDS-TENDANCES. Quelles sont les séquelles qu’une crise peut laisser sur l’économie?KOEN DE LEUS. Il y a le risque que l’économie ne parvienne pas à rejoindre la courbe de croissance d’avant-crise. Mais on peut aussi assister à une diminution de la croissance tendancielle, c’est-à-dire à une divergence de plus en plus grande de la courbe de l’économie avant la crise de celle d’après la crise. Nous avons étudié 160 crises depuis 1966 dans les pays développés. Nous avons comparé la croissance moyenne des cinq années qui précédaient ces crises avec la croissance moyenne des cinq années qui les suivaient. Et dans deux tiers des cas, le taux de croissance après crise était inférieur à celui d’avant-crise. Cela va à l’encontre de l’idée qu’il y a des cycles avec une période d’expansion suivie d’une période de correction, puis de rattrapage où l’on revient à la croissance antérieure. Les crises laissent des cicatrices. Et pourquoi?Pour plusieurs raisons. Les crises mettent la pression sur l’octroi de crédit en raison de l’endettement élevé, elles provoquent des faillites et une hausse du chômage de longue durée, elles accroissent le risque de zombification de l’économie et elles affaiblissent les dépenses d’investissement. Tout cela nuit à la productivité et à la croissance du marché du travail, et donc à la croissance. Commençons par la dette mondiale: elle atteint aujourd’hui 360% du PIB, son plus haut niveau dans l’histoire. Elle est même plus élevée que lors de la crise de 2008.. .Oui mais en 2008, les banques et les ménages étaient très endettés. Aujourd’hui, l’augmentation des dettes bancaires et des dettes des ménages reste limitée alors que la dette publique et des entreprises atteint un nouveau pic. Cette différence est importante quand on veut analyser les séquelles sur l’économie. Après la crise de 2008, les ménages ont commencé à réduire leurs dettes et les banques à assainir leur bilan. Cela a eu notamment pour conséquence que les ménages ont augmenté leur taux d’épargne et ont moins consommé, ce qui a pesé sur le redressement de l’économie. Et le fait que les banques assainissent leurs bilans a aussi pesé sur l’octroi de crédits aux start-up et aux autres entreprises. Aujourd’hui, la situation n’est pas comparable. Les études montrent qu’après une crise de l’endettement des entreprises, le redressement de l’économie se fait bien plus rapidement qu’après une explosion de la dette des ménages (comme en 2008). C’est une première raison pour laquelle la crise actuelle n’aura pas le même impact qu’en 2008. Et l’impact sur les faillites et l’emploi?Cette récession est vraiment unique: il y a moins de faillites qu’avant la crise. Certes, cette réalité est due au gel de l’économie et aux moratoires imposés par le gouvernement. Mais que va-t-il se passer quand l’économie va rouvrir? Or, les sondages réguliers effectués par la BNB montrent que de moins en moins d’entreprises craignent de devoir faire faillite. Il y en aura dans les secteurs les plus touchés mais la situation n’est pas aussi grave que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Là aussi, c’est un point positif car, historiquement, on constate une augmentation beaucoup plus prononcée du taux de chômage lors des crises qui s’accompagnent de beaucoup de faillites. Concernant le taux de chômage, son augmentation reste pour l’instant assez limitée, du moins en Europe où les gouvernements ont préféré préserver l’emploi, alors qu’aux Etats-Unis, les mesures des pouvoirs publics ont surtout préservé les revenus. Cependant, j’invite les pouvoirs publics à mettre tout en oeuvre pour réduire le risque de cicatrices sur le marché de l’emploi. Je pense qu’en matière d’employabilité et de la formation, ils ne font pas assez. Mais un élément me rend positif: pour les secteurs en difficulté comme l’horeca ou l’aviation, il devient très difficile de trouver du personnel. Pourquoi est-ce un signe positif?Cela me conduit à penser que le transfert de main-d’oeuvre d’un secteur vers un autre est déjà en train de se passer. Or, la transition d’un secteur à l’autre est un facteur clé pour le redressement de l’économie car si trop de gens restent dans des secteurs qui ont vu leur taille se réduire pendant la crise, le chômage s’accroît. Et puis il y a la zombification de l’économie… Quand on veut limiter les faillites, le revers de la médaille, c’est effectivement le soutien accru aux entreprises zombies ( celles qui réussissent à peine à rembourser les intérêts de leurs emprunts, Ndlr). On estime qu’il y a 20% de zombies dans les entreprises américaines cotées en Bourse, et l’Europe atteint probablement un niveau similaire. Vingt pour cent, c’est énorme!En réalité, les zombies ont commencé à augmenter il y a plusieurs décennies, lorsque les taux d’intérêt ont commencé à se réduire. Avoir des zombies a l’avantage d’éviter que ces entreprises ne tombent en faillite et que ces faillites pèsent sur la relance de l’économie. Le désavantage, c’est qu’avec cette zombification, la proportion des entreprises qui n’investissent pas s’accroît. Cela pèse sur la productivité mais aussi sur l’octroi de crédit puisque ces zombies absorbent une partie des prêts bancaires qui auraient pu être accordés à des start-up ou à des entreprises dégageant davantage de valeurs. Il faudra donc un jour résoudre le problème. Mais pas aujourd’hui car il serait délicat de mettre en faillite 20% des entreprises au moment où l’on essaie de relancer l’économie! Plus ce pourcentage est élevé, plus délicate est l’opération. Mais les zombies pèsent sur l’investissement… La réduction des investissements dépasse le problème des zombies. Durant la crise du covid, les investissements en général ont plongé. Et si la tendance se poursuit après la crise, elle risque d’handicaper la productivité et la reprise. Toutefois, on constate aujourd’hui aux Etats-Unis une explosion des investissements. Cela peut paraître surprenant en raison des incertitudes qui planent encore mais c’est sans doute dû à la fois au plan de relance de Joe Biden qui a certainement insufflé davantage de confiance mais aussi au fait que beaucoup d’entreprises se sont rendu compte qu’il était désormais absolument nécessaire d’investir dans la digitalisation. C’est pour cette raison que certains craignent qu’une fois ces dépenses nécessaires opérées, le boom des investissements ne retombe et que l’on assiste dans quelques mois à leur chute brutale. On ne le constate pas encore en Belgique. Chez nous, les investissements se sont redressés jusqu’au niveau d’avant-crise. Des chiffres d’ailleurs un peu en contradiction, et que je ne m’explique pas, avec les enquêtes de la Banque nationale où les entreprises disent avoir réduit l’an dernier de 20% leurs investissements par rapport à la normale, et estiment que cette réduction sera encore de 19% cette année et de 14% l’an prochain. En résumé, donc, si l’on compare ce qui se passe aujourd’hui avec 2008, on peut dire que si l’endettement global est très élevé, sa distribution est beaucoup plus favorable. Et tant du côté des faillites, du chômage que de l’investissement, ces éléments ne devraient pas peser sur la croissance à long terme de l’économie. Nous sommes dans une meilleure situation qu’après la grande crise financière. Cela voudrait dire qu’il faudrait davantage comparer la situation actuelle avec celle qui a suivi les deux guerres mondiales?Il y a des différences et des similitudes. La première différence est démographique. La croissance de la population est bien moins importante après cette crise-ci qu’après les deux guerres mondiales. Selon les Nations unies, après le covid, la croissance de la population devrait même ralentir chez nous par rapport aux 10 dernières années. Une autre différence concerne le crédit. Après la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu une très forte augmentation de ce crédit. Aujourd’hui, en raison de la hauteur très élevée de l’endettement, nous n’aurons plus une augmentation comparable. Or, la tonicité du crédit dépend des banques mais aussi des investissements publics. Et cela nous amène au troisième point: aurons-nous des investissements comparables à ceux qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale? Nous pourrions avoir un tel boom de l’investissement?Je l’espère. Non parce qu’il faudra reconstruire des infrastructures détruites, mais pour répondre au défi climatique. C’est pour cette raison que je pense que si les entreprises peuvent s’endetter davantage, le premier pas doit être réalisé par les gouvernements et par une augmentation phénoménale des investissements publics. De nouvelles dettes publiques?C’est nécessaire. Mais les gouvernements ne pourront s’y engager que si les politiques monétaire et budgétaires restent souples. Et il faudra, pour réduire le poids de la croissance de la dette, que les taux d’intérêt soient plus bas que le taux de croissance nominale, situation qui était celle qui prévalait après la Deuxième Guerre mondiale. En revanche, si l’on assiste à des politiques budgétaires restrictives, le risque est de revivre une situation similaire à celle d’après 2008. Je l’ai dit, les politiques budgétaires doivent rester souples, avec un déficit public pouvant peut-être atteindre 5%. Mais si les banques centrales créent de plus en plus d’argent, on risque d’aboutir à une explosion de l’inflation d’ici cinq à 10 ans. Les banques centrales auront la tâche délicate de devoir naviguer entre ce risque et celui d’une “japonisation” de l’économie. De quels montants d’investissements parle-t-on?Selon l’OCDE, pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris pour 2030 et 2050, donc avoir une chance de réduire à moins de deux degrés l’augmentation de la température, il faut investir 6.300 milliards de dollars par an au niveau mondial jusqu’en 2030. C’est un montant gigantesque qui représente un investissement annuel de 7% du PIB mondial. L’OCDE estime que l’impact net de ces investissements sur la croissance sera de 2,5% du PIB en 2050. Cela peut paraître un peu décevant, mais si cet impact net est réduit, c’est parce qu’il faudra amortir de manière accélérée des machines et des actifs devenus inadaptés et qu’il y aura des actifs délaissés. Une augmentation des investissements publics aura toutefois un effet d’entraînement très important sur ceux réalisés par le privé. On estime qu’une hausse de 1% des investissements publics débouchera sur un accroissement des investissements privés de 6%. Si cela se passe, nous pourrions donc vivre une situation comparable à l’après-guerre. Mais à l’époque, les guerres avaient complètement remodelé le visage de l’économie… Le mot-clé ici est “productivité”. Nous avons assisté à une hausse de la productivité après la Première puis après la Deuxième Guerre mondiale jusqu’en 1973, grâce aux nouvelles technologies. Après 1920 et après 1950, la technologie a radicalement changé la vie quotidienne: songez à l’électricité, la voiture, le frigo, la télévision, etc. En 1929, plus de 70% des bâtiments américains étaient raccordés à l’électricité, alors qu’ils n’étaient que 30% juste après la guerre. Mais dans les pays développés depuis les années 1980, la productivité n’a cessé de diminuer. L’innovation s’est certes accélérée ces 10 dernières années, mais uniquement dans le secteur des big techs. Il faut une dispersion beaucoup plus large des nouvelles technologies si l’on veut augmenter la productivité. Et je crois que l’on peut y arriver en combinant une politique budgétaire agressive avec des nouvelles technologies performantes comme l’intelligence artificielle, le big data, l’introduction de nouveaux modèles d’entreprise comme les modèles circulaires, etc. Le covid a accéléré de manière fulgurante la digitalisation au cours des deux dernières années. Nous avons assisté à une montée en puissance de l’ e-commerce ou du télétravail dans des secteurs comme celui des soins de santé qui était connu pour sa faible productivité. Vous êtes donc optimiste?Oui, nous pourrions voir la productivité augmenter mais cela nécessite non seulement une plus grande propagation de la digitalisation dans les entreprises mais aussi une implication plus grande de celle-ci dans le processus de production, ce qui nécessite de revoir tout le modèle d’affaires. C’est un peu comme lorsque nous sommes passés de la machine à vapeur à la machine électrique. Cela a pris 20 ou 30 ans. La Belgique est particulièrement bien placée dans cette transformation. Agoria ( la fédération nationale des entreprises technologiques, Ndlr) a mis en place depuis plusieurs années “Factory of the future”, programme qui a pour but de préparer les entreprises à la vague de digitalisation. Aujourd’hui, 800 entreprises belges le mettent en oeuvre et 43 l’ont déjà complètement accompli. Et l’on observe qu’entre 2015 et 2019, ces “entreprises du futur” ont affiché une augmentation de leur chiffre d’affaires cumulatif de 20%, contre seulement 7% pour la moyenne des industries manufacturières. Leur productivité est de 50% plus élevée et leur personnel a augmenté de 17%, contre 2,6% pour les autres. La digitalisation n’entraîne donc pas nécessairement des pertes d’emploi. Si nous nous y prenons bien, la réouverture de l’économie pourrait être le prélude à un changement de régime, à un “reset” de l’économie, plutôt qu’à un simple redémarrage.

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