Nouveau patron d’Axa Belgium, le Français Etienne Bouas-Laurent revient sur la problématique d’indemnisation des terribles inondations qui ont frappé la Wallonie cet été, juste après sa prise de fonction, et lève un coin du voile sur ses grandes priorités à la tête de la compagnie en Belgique.
Ancien champion d’escrime, Etienne Bouas-Laurent officie depuis le 1er juillet 2021 en tant que CEO d’Axa Belgium. Un poste auquel ce Bordelais d’origine, maniant l’humour avec finesse, doté d’une belle intelligence mais très respectueux, remplace notre compatriote Jef Van In, parti lui sous d’autres cieux au sein du groupe. Pour Trends-Tendances, le Français, qui affiche une car- rière de plus de 20 ans chez Axa, revient sur les terribles inondations qui ont frappé la Wallonie cet été, alors qu’il avait pris ses nouvelles fonctions depuis seulement deux semaines. Vice-président d’Assuralia, il évoque aussi les nouveaux défis auxquels le secteur de l’assurance est confronté: des changements climatiques aux pandémies, en passant par la cybersécurité, la politique monétaire et ses taux bas, l’inflation ainsi que les exigences des clients et le métier qui change.
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Ancien champion d’escrime, Etienne Bouas-Laurent officie depuis le 1er juillet 2021 en tant que CEO d’Axa Belgium. Un poste auquel ce Bordelais d’origine, maniant l’humour avec finesse, doté d’une belle intelligence mais très respectueux, remplace notre compatriote Jef Van In, parti lui sous d’autres cieux au sein du groupe. Pour Trends-Tendances, le Français, qui affiche une car- rière de plus de 20 ans chez Axa, revient sur les terribles inondations qui ont frappé la Wallonie cet été, alors qu’il avait pris ses nouvelles fonctions depuis seulement deux semaines. Vice-président d’Assuralia, il évoque aussi les nouveaux défis auxquels le secteur de l’assurance est confronté: des changements climatiques aux pandémies, en passant par la cybersécurité, la politique monétaire et ses taux bas, l’inflation ainsi que les exigences des clients et le métier qui change. TRENDS-TENDANCES. Vous avez pris vos fonctions à la tête d’Axa Belgium en juillet, juste avant les inondations. Cela a-t-il compliqué vos débuts en tant que CEO? ETIENNE BOUAS-LAURENT. J’ai été plongé dans le bain tout de suite, mais avec la fierté de pouvoir jouer mon rôle d’assureur. Penser que l’on peut prendre son temps pour apprendre à connaître un pays ou une entreprise est aujourd’hui illusoire: il faut être opérationnel très vite. J’ai aussi vu dans ces événements dramatiques une opportunité de connaître mon marché, mes concurrents, mes clients, les courtiers. Vous êtes-vous personnellement rendu sur les lieux? Bien évidemment. Je suis allé à Pepinster et à Theux pour mieux comprendre ce qui se passait. C’est en étant sur le terrain que l’on se rend vraiment compte de la réalité. Qu’est-ce qui vous a le plus touché? C’est la désolation des commerçants qui ont vu l’oeuvre de toute une vie disparaître. On a toujours tendance à oublier combien l’eau peut être dévastatrice: des câbles et des morceaux de béton qui traînent, des détritus accumulés le long des rues, des gens hagards et désespérés, pas d’électricité, la présence de l’armée…: c’était très impressionnant. Et au sein d’Axa Belgium, qu’est-ce qui vous a le plus marqué? C’est la fierté d’avoir pu démontrer notre valeur ajoutée auprès de nos assurés. Il y a eu une mobilisation absolument extraordinaire de l’ensemble de nos collaborateurs. Certains qui étaient partis en vacances sont revenus. Cette mobilisation a été, entre guillemets, une belle mission d’assureur. Mission qui est d’ailleurs loin d’être terminée. Très concrètement, quel est l’impact de la catastrophe pour l’entreprise? Nous gérons à peu près 10.000 dossiers, dont environ 60% sont clos. J’entends par là l’expertise et l’indemnisation. Après, il faudra du temps pour trouver les entrepreneurs qui vont aider les victimes à remettre leur logement en état. Il y en a pour trois ans avant de tout récupérer. Le choc est énorme pour la Région wallonne. Tout cela va laisser des traces pendant longtemps, notamment au niveau des infrastructures. Vous êtes également vice- président d’Assuralia: comment s’est déroulée la négociation avec le gouvernement wallon? C’est un autre aspect très intéressant pour moi de cette crise des inondations. Il y a eu une solidarité entre nous pour soutenir la population wallonne et défendre la réputation de l’industrie de l’assurance. Et ce, en répondant de façon unanime et responsable à tous les défis que représentait cette crise. Cette solidarité n’est toutefois pas allée d’elle-même: elle a donné lieu à pas mal de discussions en interne. La Région wallonne et les assureurs se sont mis d’accord sur un partage de la perte. Partage dans lequel les assureurs ont accepté de doubler leur exposition réglementaire. Il est rare de voir une telle solidarité, ce qui ne veut pas dire qu’agir de concert est facile. Je commence d’ailleurs à mieux comprendre ce qu’est le compromis à la belge (sourire). Ces discussions m’ont permis non seulement de mieux connaître mes concurrents mais aussi de découvrir le monde politique. Cela crée des liens. C’est important. Nous avons, avec les pouvoirs publics, d’importants défis à relever, notamment sur le terrain du climat et des catastrophes naturelles. Les catastrophes naturelles deviennent hélas plus régulières. C’est un danger pour votre modèle économique d’assureur? Clairement, cela impacte notre stratégie. Le coût des événements climatiques augmente plus vite que le PIB mondial, avec une croissance d’environ 5% par an depuis 20 ans et une accélération ces trois dernières années. C’est la raison pour laquelle nous plaidons, au sein d’Assuralia, pour un rôle accru de l’Etat fédéral afin de ne pas laisser les Régions démunies en cas d’énorme choc. L’assurance joue un rôle social dans la mesure où ceux qui ne sont pas touchés indemnisent ceux qui sont victimes. Mais lorsque tout le monde est touché, le moteur de l’assurance ne peut pas fonctionner. Il n’y a plus personne pour contribuer à l’indemnisation des victimes. On parle alors de risque systémique. Or la solvabilité d’une compagnie d’assurance ne peut pas résister à des chocs systémiques. Toute la réglementation est faite autour d’un calibrage des ressources financières pour faire face à des chocs non systémiques. En cas de choc systémique, il faut que les pouvoirs publics interviennent, selon des règles à définir. C’est le cas dans la plupart des pays. L’alternative, ce serait quoi? Nous avons la chance, en Belgique, d’avoir des contrats d’assurance incendie qui incluent obligatoirement les catastrophes naturelles. Cela veut dire que l’accès à la protection est très large. Mais cela suppose que l’on ait un système de type public-privé, auquel Assuralia fait régulièrement référence dans la presse, qui est fondamental. C’est juste un impératif économique, sans aucune considération politique. L’alternative, ce serait que les catastrophes naturelles deviennent une option et ne soient plus une assurance obligatoire. Dans ce cas-là, nous pouvons assurer un risque, puisque nous pouvons le chiffrer, mais avec alors une tarification différente, comme c’est le cas dans d’autres pays où ce type d’assurance n’est pas obligatoire. Y a-t-il de l’écoute sur ce sujet? Via Assuralia, nous discutons avec toutes les parties prenantes: Etat fédéral, Régions, etc. Je suis confiant dans notre capacité à trouver une solution responsable et équilibrée à cette spécificité belge. Spécificité belge qui veut que depuis quelques années, ce ne soit plus l’Etat fédéral mais les Régions qui indemnisent les victimes. Ce qui, à nouveau, est totalement contre-intuitif puisque vous démutualisez un risque systémique. Le covid met aussi à mal le monde de l’assurance et son principe de mutualisation car il frappe tout le monde en même temps et partout. Comment réagissez-vous en tant qu’assureur à ce type de risque? Ce n’est pas à proprement parler un risque nouveau. Depuis longtemps, il est intégré dans les modèles des assureurs. Mais jamais nous n’avons fait face à un tel choc. Il y a la contagion, le nombre de personnes touchées, mais ce qui est difficile à quantifier, c’est la réaction des pouvoirs publics: les mises en quarantaine, les fermetures d’activités. Plus que l’impact sur la mortalité, qui n’a pas explosé, ce sont les conséquences sur l’activité économique et sur le bien-être de la population qui sont extrêmement difficiles à anticiper. Là est la nouveauté. Si les risques climatiques arrivent en tête du classement des nouveaux risques qui émergent pour les assureurs, la pandémie arrive en troisième position, juste après le cyber-risque. Suite à ces deux gros chocs que sont les inondations et la pandémie, comment se porte Axa en Belgique? Les inondations ont un impact significatif sur le résultat final pour 2021. Ce dernier est de ce fait en retrait mais reste positif. Plus largement, l’entreprise se porte très bien. Nous avons la taille critique nécessaire, une marque forte, une qualité de service fantastique, des courtiers qui sont extrêmement proches de leurs clients. La Belgique est un pays central au sein de l’Europe, qui est elle-même une zone coeur pour Axa. Quelles sont vos priorités stratégiques en tant que CEO? Je m’inscris dans la continuité avec une approche revisitée. La première priorité, c’est de retrouver une croissance forte. Comme je viens de vous le dire, nous avons des courtiers qui sont extrêmement proches de leurs clients. C’est un potentiel énorme que nous n’avons pas toujours exploité, notamment sur le segment des professionnels et des toutes petites entreprises, qui est en forte croissance en Belgique. Il y a environ un million d’indépendants et de très petites entreprises, et ce chiffre augmente chaque année. Nous voulons amener notre part de marché sur ce segment, qui est pour le moment légèrement inférieure à 10%, au niveau de notre part de marché naturelle, qui est plutôt de 15% à 20%, en fournissant des solutions d’assurance-entreprise simplifiées et extrêmement modernes. Par ailleurs, nous sommes persuadés que nous avons aussi un rôle fondamental à jouer dans le domaine de la santé où les besoins sont croissants et où Axa sait faire preuve d’innovation. Nous avons une croissance à deux chiffres sur ce segment et tendons vers une part de marché de 15% en santé collective. C’est un axe de développement stratégique. Comment comptez-vous atteindre ces objectifs? En améliorant encore l’expérience client (simplification des processus, automatisation, digitalisation) qui est un travail de très longue haleine sur lequel mon prédécesseur avait fait une avancée majeure. Nous essayons aussi de développer des services autres que le pure remboursement des frais médicaux, tels que le soutien psychologique. Et cela, aussi bien pour les clients que pour nos collaborateurs. Le smart working, c’est-à-dire travailler autrement, est une condition essentielle pour rester compétitif dans un environnement qui change en permanence. Nous avons toujours été innovants dans ce domaine et nous voulons continuer à l’être. Aujourd’hui, il est prévu deux jours par semaine de télétravail. Mais nous discutons avec les représentants du personnel pour passer à un modèle de flexibilité plus élevé. Le seul garde-fou, c’est que chaque collaborateur passe une semaine par mois dans l’entreprise, pour ne pas décrocher. Pour certains, ce sera une semaine complète. Pour d’autres, ce sera un jour par semaine. Le système sera le plus adapté aux besoins de chacun. Il comprendra davantage de services de well-being ( sur 3.000 personnes chez Axa Belgium, 10% utilisent déjà ces services, Ndlr), un reward davantage indexé sur la performance individuelle et collective, un verdissement de notre mobilité, une approche systématique dans la diversité et l’inclusion, etc. Les clients doivent-ils s’attendre à une hausse des primes vu la forte inflation? Taux d’intérêt bas et inflation ont un impact sur la tarification de nos produits. C’est essentiellement dans l’assurance dommage que les primes vont augmenter, en raison de la hausse du coût de la réassurance et du coût des indemnisations et des réparations. L’augmentation de l’indice du coût de la construction (Abex) se situe aujourd’hui entre 5% et 6%. Forcément, vous allez retrouver cette hausse dans l’augmentation des primes d’assurance dommage. Le groupe Axa est géré avec prudence mais également avec un sens des risques de gestion entre l’actif et le passif qui est aigu. Dernièrement, votre groupe a revendu en Belgique sa filiale bancaire Axa Banque à Crelan. La banque n’est clairement plus une priorité? La banque est un métier très différent du nôtre. Il n’a jamais été au coeur de nos activités. Axa est par ailleurs un assureur de taille mondiale. Nous n’avons pas besoin d’être opérateur d’une banque pour développer nos parts de marché en assurance. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de Crelan? Le canal du courtage reste notre modèle de distribution. Mais nous avons des attentes de coopération renforcées avec Crelan qui distribuera certains de nos produits et pour qui il y a une place à prendre en tant que cinquième grande banque en Belgique. D’autre part, l’intégration de Crelan Insurance nous permet de passer de 12% à 17% de part de marché en assurance solde restant dû, ce qui correspond à notre part de marché naturelle en Belgique, quel que soit le segment. Pour terminer, un mot sur notre pays que vous apprenez à mieux connaître? Je suis moitié Bordelais moitié Bruxellois ( sourire). La Belgique est un pays extrêmement accueillant. J’enfonce sans doute des portes ouvertes mais, sincèrement, les gens sont sympas. On se sent chez soi. Je n’ai pas l’impression d’être un étranger. J’essaye de visiter au moins une nouvelle ville toutes les trois semaines et je me suis mis au néerlandais. Par opportunisme? Il faut reconnaître l’importance de la Flandre. J’imagine mal pouvoir avoir un impact dans une entreprise dans laquelle 65% de l’activité se fait dans une langue que je ne maîtrise pas. Cela étant, j’ai vécu dans beaucoup de pays, en Allemagne, en Asie… Je suis presque bilingue en allemand. Parler la langue du pays où vous êtes est le seul moyen d’avoir une vie intéressante. Lire la carte du menu en néerlandais est un vrai plaisir. J’aime avoir du “fun” dans ce que je fais.