Pionnier de la pub en ligne, Bruno Van Boucq est aussi l’un des rares Belges à s’attaquer juridiquement à Google qu’il accuse de violer un brevet déposé par sa start-up. Mais la firme de Mountain View a contre-attaqué…
“Je ne sais pas si je suis le David de David contre Goliath car, à la fin de la légende, David gagne contre Goliath. Or, dans mon cas, on ne peut absolument pas connaître la véritable issue du dossier…” C’est avec modestie que Bruno Van Boucq appréhende le litige qui oppose sa start-up Proxistore au géant mondial de l’internet, Google.
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“Je ne sais pas si je suis le David de David contre Goliath car, à la fin de la légende, David gagne contre Goliath. Or, dans mon cas, on ne peut absolument pas connaître la véritable issue du dossier…” C’est avec modestie que Bruno Van Boucq appréhende le litige qui oppose sa start-up Proxistore au géant mondial de l’internet, Google. Depuis plusieurs années, la jeune pousse du Brabant wallon s’oppose au spécialiste américain de la recherche et de la pub en ligne. En cause? Un désaccord sur la violation ou non, par Google, d’une technologie brevetée par Proxistore. Bruno Van Boucq considère en effet que la firme américaine utilise des techniques de géolocalisation des internautes qui entrent dans le cadre d’un brevet reconnu en 2016 dans une série de pays. “En 2018 j’ai constaté que, de mon point de vue, Google utilisait une technologie similaire à celle qu’on a déposée. A ce moment j’ai souhaité parler avec Google. Je n’avais pas en tête d’aller devant les tribunaux. Personne n’a franchement envie de s’attaquer à Google.” Bruno Van Boucq prend dès lors contact avec les équipes de Google, en Belgique d’abord, puis à l’international. “Le rapport est cordial, on nous rassure et l’on nous explique que l’on trouvera une solution”. Les équipes de Proxistore sont alors invitées à entrer une demande en ligne, sur une plateforme de Google dédiée à toutes les questions liées à un brevet. “On nous invite alors à faire une proposition”, se remémore Bruno Van Boucq. Pour y parvenir, la jeune pousse décide de s’entourer d’experts afin d’estimer au mieux le montant de l’arrangement. En s’appuyant sur le rapport de Pronovem, un cabinet d’experts indépendant qui établit la contrefaçon, la start-up s’adresse au cabinet BDO aux Etats-Unis. Son rôle? Analyser la situation et permettre à Proxistore d’établir une “proposition sérieuse qui tienne compte de notre technologie et de son brevet”. Le montant? “Plusieurs centaines de millions”, se contente de préciser le patron belge. “Mais c’est là qu’on entre dans une long feuilleton. Entamées au départ de la Belgique, les discussions sont transférées à New York, puis à Palo Alto, ce qui nous oblige à faire appel à un cabinet d’avocats américain. Nos avocats bruxellois ne sont en effet pas habitués à traiter avec les Etats-Unis.” De nombreux cabinets refusent le dossier. Crainte de s’attaquer à Google? Risque de conflit d’intérêts? Proxistore réussit tout de même à approcher un des big five, puis réalise qu’il lui faudra préfinancer lui-même toutes les démarches. “Les montants aux Etats-Unis grimpent rapidement, confie le fondateur de la start-up. Voilà pourquoi il y a des fonds dont c’est le métier: défendre les David contre les Goliath de ce genre d’affaires de propriété intellectuelle… Pour autant que le dossier tienne la route.” Un de ces fonds accepte de soutenir la démarche, avec l’espoir de se rémunérer via un success fee. “Le financement de ce genre de dossier peut grimper jusqu’à 4 millions d’euros dans notre cas, du moins si l’on attaque pour contrefaçon en Allemagne où ce type d’affaire se déroule régulièrement”, précise Bruno Van Boucq. Mais dans un premier temps, en juin 2019, Proxistore se contente de demander en Belgique une “saisie arrêt-description”, accordée par un juge. Cette procédure doit permettre à un expert de regrouper des éléments pour tenter d’établir s’il existe une contrefaçon. En parallèle, les négociations à l’amiable avec Google s’enlisent. La première proposition effectuée par la start-up belge n’est pas acceptée et les parties peinent à s’entendre pour la suite. “C’est là que je commence à avoir l’impression que Google veut gagner du temps, confie Bruno Van Boucq. Leur technologie tournait et ils n’avaient pas vraiment intérêt à prendre une licence. Je pense qu’ils n’avaient pas l’intention d’arriver à un accord, même s’ils nous prétendaient le contraire. Ils semblaient n’avoir qu’une obsession: faire durer les choses car, dans la durée, ils sont toujours gagnants…” Après Palo Alto, les négociations reviendront ainsi en Europe, le géant du net redirigeant la start-up belge vers une équipe à Berlin. Autre problème: “Notre cabinet d’avocats décide alors unilatéralement de ne plus nous représenter, et ce sans nous donner de réelle explication, peste encore aujourd’hui Bruno Van Boucq. Après plus d’un an de travail et la constitution d’un dossier, il faut retrouver une équipe, remettre tout en place, reprendre les discussions. A ce moment, j’ai senti tout le poids de la partie que j’avais en face. Ce n’est que récemment que je pense avoir compris ce qu’il s’est passé: à la suite du pacte de non-agression signé entre Facebook et Google, pas mal de cabinets ont planté leurs clients qui s’attaquaient à l’un ou à l’autre.” Aujourd’hui, pour cette raison notamment, les discussions entre Proxistore et Google sont à l’arrêt. Surtout que la jeune pousse a dû affronter d’autres péripéties. En septembre 2019, se sentant sans doute menacée par ces procédures, la firme américaine riposte et décide d’attaquer en Belgique le brevet de Proxistore. Un coup de massue pour Bruno Van Boucq qui, au quotidien, sent à quel point la situation est devenue inconfortable. “Beaucoup de gens dans mon entourage et de mon secteur n’ont pas voulu me soutenir publiquement de peur de froisser Google, se souvient-il. Je recevais certains encouragements mais rarement en public. D’autre tentaient plutôt de me décourager.” Sauf que l’homme se sent désormais l’âme d’un “lanceur d’alerte”, à son niveau. “Je crois important de montrer tous les points problématiques d’un acteur comme Google, précise le patron de Proxistore. On voit d’ailleurs que les affaires se multiplient, dans des domaines aussi différents que l’abus de position dominante, l’anti-concurrence, la vie privée…” Fin 2020, le tribunal de l’entreprise de Bruxelles a tranché, en première instance, concernant la validité du brevet de Proxistore, donnant raison à la firme belge. Google a fait appel de la décision, ce qui devrait encore faire traîner le dossier. Mais Bruno Van Boucq de conclure: “Même si toute mon attention est consacrée à Proxistore, je me battrai pour défendre ce brevet. Je veux défendre l’innovation européenne. A quoi bon innover et déposer des brevets si l’on ne peut pas les protéger?”