Les inquiétudes en Chine ont provoqué une vague de prises de bénéfices dans le secteur du luxe. Si le risque de déception à court terme est réel, les investisseurs pourraient profiter d’opportunités à long terme.
De LVMH à Capri Holdings en passant par Kering, Hermès ou Richemont, le luxe a le vent en poupe depuis le début du redressement des Bourses fin mars 2020. Leader incontesté, LVMH est devenu la première société européenne et a intégré le top 20 mondial avec une capitalisation boursière de plus de 400 milliards de dollars. Son fondateur et PDG, Bernard Arnault, est désormais la personne la plus riche du monde selon Forbes. Même Hermès, autrefois action de niche peu suivie, s’est installée dans le top 100 des entreprises mondiales.
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De LVMH à Capri Holdings en passant par Kering, Hermès ou Richemont, le luxe a le vent en poupe depuis le début du redressement des Bourses fin mars 2020. Leader incontesté, LVMH est devenu la première société européenne et a intégré le top 20 mondial avec une capitalisation boursière de plus de 400 milliards de dollars. Son fondateur et PDG, Bernard Arnault, est désormais la personne la plus riche du monde selon Forbes. Même Hermès, autrefois action de niche peu suivie, s’est installée dans le top 100 des entreprises mondiales. Rien ne semblait pouvoir assombrir les perspectives d’un secteur profitant pleinement du rebond des dépenses des consommateurs. LVMH affiche ainsi une croissance organique de 84% au deuxième trimestre, dépassant déjà largement les chiffres de 2019 (+14%), avant que n’éclate la pandémie. Richemont fait encore mieux avec une croissance organique de 129% en un an et de 22% par rapport à 2019. Mi-août, la hausse s’est soudainement interrompue en raison d’inquiétudes en provenance de Chine, qui représente 35% des ventes mondiales du secteur. Outre la remontée des cas de coronavirus et le ralentissement des ventes au détail, c’est surtout la politique de Xi Jinping qui a inquiété. Briguant un troisième mandat inédit l’année prochaine, le président chinois consolide son autorité. Le 17 août, il a précisé ses intentions sociétales lors d’une réunion du comité central pour les affaires financières et économiques. “La prospérité commune est une exigence essentielle du socialisme et une composante clé de la modernisation aux caractéristiques chinoises”, a-t-il souligné. Mao Zedong, fondateur de la République populaire de Chine, avait déjà évoqué le concept de “prospérité commune” dans les années 1950. Deng Xiaoping, le père de la modernisation de la Chine il y a 40 ans, l’avait aussi répété tout en admettant qu’il faut “laisser certaines personnes s’enrichir d’abord”. Aujourd’hui, Xi Jinping affirme vouloir avancer grandement vers la prospérité commune pour 2035 et la concrétiser pour 2050. Pour ce faire, les dirigeants chinois se sont engagés à utiliser la fiscalité et d’autres leviers de redistribution des revenus pour accroître la proportion de citoyens à revenu moyen, augmenter les revenus des pauvres et “ajuster rationnellement les revenus excessifs”. Mais l’arsenal réglementaire est bien plus vaste qu’une simple politique de redistribution fiscale comme on a pu l’observer ces derniers mois. La quête d’une prospérité commune a donné lieu à des politiques allant de la lutte contre l’évasion fiscale à la limitation du nombre d’heures de travail des employés du secteur technologique, en passant par l’interdiction des cours de soutien scolaire à but lucratif et la limitation stricte du temps que les mineurs peuvent consacrer aux jeux vidéo. Pékin a aussi explicitement encouragé les entreprises et les particuliers à hauts revenus à contribuer davantage à la société par le biais de la “troisième distribution” qui fait référence à la charité et aux dons. Un message bien reçu par les entreprises chinoises. Le géant technologique Tencent a ainsi annoncé vouloir consacrer 100 milliards de yuans, soit 13 milliards de dollars, à la prospérité commune. Dans ce contexte politique, les produits de luxe pourraient être ciblés par les autorités chinoises, tout particulièrement les marques occidentales. Parmi les mesures évoquées par les différents observateurs, retenons des taxes sur les biens de luxe, une réglementation de l’e-commerce et des daigous (personnes achetant des biens à l’étranger pour les revendre en Chine), une répression des publicités en ligne et des influenceurs. Cependant, un des principaux impacts pourrait être psychologique. Acheter des produits de luxe pourrait ainsi être de nouveau considéré comme une dépense ostentatoire, une volonté mal venue d’étaler sa richesse. Ce ne serait pas une première. La lutte anti-corruption menée par Xi Jinping après son accession au pouvoir en 2012 avait déjà plombé les ventes de produits de luxe, tout particulièrement les montres, souvent offertes en échange de “services”. Après quelques années et l’arrestation de dizaines de milliers de responsables chinois, la lutte s’est affaiblie, avec comme principal résultat la consolidation du pouvoir de Xi Jinping selon de nombreux observateurs. Les ventes de produits luxe ont ainsi repris de plus belle à partir de 2016. Erwan Rambourg, auteur de Future luxe et analyste chez HSBC, se montre d’ailleurs plutôt confiant pour les perspectives du secteur. “Le point positif est que la finalité de la prospérité commune n’est pas de limiter les moyens des individus riches mais plutôt d’accélérer l’accès d’un plus grand nombre à la classe moyenne” disposant de suffisamment de moyens pour acquérir quelques produits de luxe. Les analystes de Jefferies soulignent toutefois qu’à court terme, la politique de Pékin risque de peser sur les achats des “VIP”, des Chinois achetant pour plus de 100.000 euros de produits de luxe par an, ces derniers représentent pas moins d’un quart des ventes en Chine. Jean-François di Meglio, président de l’institut de recherche Asia Centre, souligne également que les sociétés occidentales actives en Chine “auront peut-être un jour des problèmes pour rapatrier leurs dividendes”. Les investisseurs sont accoutumés à ce genre de risques, qu’il s’agisse d’une rechute des ventes à court terme ou d’une réglementation moins favorable dans un pays émergent. La principale interrogation est de savoir si ces risques sont rémunérés correctement. En d’autres termes, si la valorisation en tient compte. Historiquement, le secteur du luxe affiche une prime par rapport aux marchés globaux comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. Cette prime s’est toutefois emballée l’année dernière, le luxe ayant été plébiscité comme secteur pour profiter de la reprise de l’économie. Aujourd’hui, le secteur affiche toujours une prime supérieure à la moyenne historique. En d’autres termes, les risques ne sont pas encore intégrés et les résultats devraient sensiblement dépasser les attentes pour justifier la valorisation actuelle. Les perspectives à long terme demeurent toutefois favorables. Selon Bain & Company, le marché mondial du luxe devrait croître de 281 milliards d’euros en 2019 à entre 330 et 370 milliards d’euros en 2025, notamment grâce à la demande des générations Y et Z. Une poursuite de la correction du secteur du luxe serait donc synonyme d’opportunités. Pour profiter de ces opportunités, il est nécessaire de faire le tri parmi les options possibles. LVMH s’impose comme “la” valeur de référence grâce à son grand nombre de maisons de premier plan dans les différents segments allant de la mode et maroquinerie (Louis Vuitton, etc.) à la distribution (duty-free via DFS, Sephora, etc.) en passant par la joaillerie (Tiffany, Bvlgari), les parfums, la cosmétique ou les vins et spiritueux. LVMH s’échange à 28 fois le bénéfice attendu en 2022 (22,6 euros par action), ce qui reste tendu. Une alternative est de s’intéresser à Christian Dior, mono holding de contrôle de LVMH. Une action Christian Dior représente à peu près 1,15 action LVMH, soit une décote de 12,5% actuellement. Cette décote pourrait finir par disparaître, Bernard Arnault ayant engagé une longue simplification de ses structures de groupe. Kering s’échange à seulement 21,5 fois le bénéfice en 2022 mais la dynamique des ventes lui apparaît clairement défavorable. Le groupe de François-Henri Pinault a pu compter sur le succès de Gucci avant la pandémie pour croître rapidement. Mais la maison italienne, qui représente près de 60% des profits de Kering, est en perte de vitesse. Au premier semestre 2021, ses ventes sont restées inférieures aux six premiers mois de 2019 contre une croissance 11% pour LVMH. Une reprise des ventes de Gucci ou le développement des autres maisons est donc nécessaire pour considérer la valorisation actuelle comme une opportunité. Hermès fait clairement partie des valeurs le plus chères du secteur, à 54 fois le bénéfice attendu en 2022. Ce qui s’explique par une croissance solide et une marge bénéficiaire nette de plus de 22%, presque le double de LVMH. Cependant, le groupe est aussi un des plus dépendants de la Chine, réalisant plus de la moitié de son chiffre d’affaires en Asie hors Japon. A contrario, le groupe américain Capri Holdings est très bon marché, à 12 fois le bénéfice prévu pour son exercice 2022. L’ex-Michael Kors a tenté un coup de poker avec le rachat de Jimmy Choo en 2017 et de Versace en 2018 pour plus de 3 milliards de dollars au total. Un pari qui semble commencer à payer avec une croissance des ventes de 178% et une forte amélioration des marges ce printemps. Versace affichait une croissance de 16% par rapport à avant la pandémie et la montée en gamme de Michael Kors a permis d’améliorer les profits malgré un recul des ventes. Parmi les opportunités un peu plus risquées, retenons aussi le spécialiste italien des mocassins et bottines de luxe Tod’s. Il a annoncé en début d’année la nomination de la célèbre influenceuse Chiara Ferragni à son conseil d’administration avec comme objectif affiché de dynamiser son image. Bernard Arnault semble manifestement y croire puisque LVMH a triplé sa participation dans Tod’s à 10% du capital. Il s’agit toutefois d’un pari sur l’avenir, Tod’s ayant même subi une perte en 2020.