La justice belge n’a pas encore tranché. Avec des suspects en détention préventive depuis leur arrestation fin juin, l’enquête se poursuit. Il s’avère néanmoins essentiel de démonter les rouages de cet apparent piège financier aux centaines de milliers de victimes potentielles à travers le monde.
Rétroactes. Mardi 22 juin 2021. Quelque 220.000 membres de Vitae, un réseau social en phase de test avant son ouverture au grand public, sont conviés en soirée à une visioconférence du directeur commercial de la plateforme, un homme d’affaires flamand. Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est qu’avec l’aide d’experts d’Europol, la police judiciaire fédérale procède ce jour-là à une vingtaine de perquisitions en Belgique, principalement dans les régions d’Anvers, Bruges et Hasselt.
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Rétroactes. Mardi 22 juin 2021. Quelque 220.000 membres de Vitae, un réseau social en phase de test avant son ouverture au grand public, sont conviés en soirée à une visioconférence du directeur commercial de la plateforme, un homme d’affaires flamand. Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est qu’avec l’aide d’experts d’Europol, la police judiciaire fédérale procède ce jour-là à une vingtaine de perquisitions en Belgique, principalement dans les régions d’Anvers, Bruges et Hasselt. Près de 3 millions d’euros, en cash et en cryptomonnaies, ainsi que 17 véhicules de luxe sont saisis. Le directeur commercial, le chief operating officer, le directeur informatique et deux autres responsables marketing sont arrêtés. Selon des personnes proches du dossier, les deux premiers directeurs auraient été assignés à résidence et le directeur informatique aurait été libéré. Dans l’intérêt de l’enquête qui se poursuit à l’heure d’écrire ces lignes, le parquet fédéral n’apportera aucun complément d’informations. Les autorités ont toutefois annoncé que l’opération visait les probables commanditaires d’une organisation criminelle. Vitae, société anonyme fondée à Zoug, capitale de la “Crypto Valley” suisse, serait gérée en pratique par les entrepreneurs arrêtés. La justice belge les soupçonne d’opérer une escroquerie financière internationale de type Ponzi au travers de leur nouveau média social. Cette plateforme est censée “apporter la prospérité à ses utilisateurs” en récompensant leurs likes, partages et autres commentaires avec sa propre cryptomonnaie, l’utility token Vitae. La recette de cette apparente arnaque? Il s’agirait d’un “cocktail de facilités”, entre promesse d’enrichissement facile (rémunération pour simplement utiliser le média social), de gestion facile (via les tokens, sans frontière, accessibles en permanence) et de solidarité facile (le fameux “partage de prospérité” promis dans le livre blanc du projet). “Je vous confirme que la combinaison de ces trois éléments fait que Vitae a pu attirer énormément de monde, de vrais adeptes. On constate aussi que leur participation va au-delà du rôle de simple investisseur, ils partagent un certain ‘univers Vitae'”, analyse Rik Vanreusel, associé du cabinet gantois De Groote-De Man, soulignant le caractère unique de ce qu’il craint être une fraude massive. Cet avocat spécialisé en droit pénal accompagne des personnes qui s’estiment lésées financièrement par Vitae et comptent se constituer partie civile prochainement. Il ne souhaite pas détailler davantage l’étendue des préjudices financiers de ses clients belges et internationaux mais craint un effet d’échelle, compte tenu du nombre important de membres. D’ailleurs, en attendant l’issue des investigations, la justice belge a bloqué les sites Vitae.co et Vitatoken.io. Ce qui a provoqué l’effondrement du cours du jeton numérique, dont la valeur tend désormais vers zéro euro alors que la capitalisation de marché dépassait les 100 millions en novembre dernier. Le coup d’arrêt imposé par la Belgique à ce projet invoquant “la philanthropie” et “l’émancipation des plus nécessiteux” a également suscité l’ire des membres de Vitae, disséminés sur l’ensemble des continents mais essentiellement actifs en Inde et au Vietnam. Depuis qu’il entend s’opposer au projet Vitae, Me Vanreusel goûte à la médecine de ceux qu’il qualifie de ” believers”. Il cite par exemple un message qu’il a reçu dernièrement: “Nous aimons Vitae parce que c’est le réseau social du futur. Ne restez pas ignorant face à l’évolution rapide du monde. Remettez en ligne notre plateforme Vitae. Prouvez que nos fondateurs de Vitae ne sont pas des criminels. Prouvez que Vitae n’est pas une escroquerie, un Ponzi ou un système pyramidal”. Ce genre de missives pullule dans les boîtes mails et sur les réseaux sociaux des intervenants dans cette affaire. Le juge d’instruction en charge du dossier Vitae, Philippe Van Linthout, pourrait en attester lorsqu’on observe les messages et vidéos qu’il reçoit sur ses profils publics. “Ceci démontre un problème réel, celui des victimes inconscientes”, s’inquiète l’associé du cabinet De Groote-De Man. La saga des pétitions Vitae donnerait raison à l’avocat des victimes. Depuis le 24 juin, une ressortissante britannique présentée comme la “leader des femmes de Vitae” a déjà initié trois pétitions en ligne successives réclamant au parquet fédéral de débloquer leur média social. Battant des records de viralité, rassemblant jusqu’à 41.000 signataires de la France à l’Australie en passant par le Ghana et le Canada, les pétitions ont été supprimées à chaque reprise par le site Change.org les hébergeant pour violation des règles d’utilisation. Sans préjuger de cette affaire judiciaire où prévaut pour l’instant la présomption d’innocence, notons que le département de la Protection des consommateurs du Vietnam avait déjà hissé le drapeau rouge à propos de Vitae en juin 2020 face aux “signes d’activités illégales du projet”. En prenant un peu de hauteur, on rappellera combien il n’a jamais été aussi facile de mobiliser des personnes et des fonds. Un simple smartphone suffit désormais. Les projets frauduleux empruntent les codes de la start-up (à problème sociétal, solution innovante), les ingrédients du marketing digital et rayonnent rapidement via les YouTube, Telegram, Facebook et autres médias sociaux. Les cryptomonnaies ont abaissé les barrières techniques pour la gestion financière transfrontalière et les réseaux blockchain, décentralisant et automatisant le contrôle (ou son absence), offrant des systèmes parallèles dont la facilité d’accès s’avère elle aussi sans précédent. Ces arnaques nouvelle génération ne promettent plus seulement des sources de revenus extrêmement attrayantes, elles y ajoutent une dimension communautaire et de développement personnel ou collectif. Les parties prenantes, qu’elles soient membres, utilisateurs, investisseurs, ont à faire avec des matrices et schémas financiers leur évitant de devoir calculer longuement pour comprendre que les rendements seront élevés. Toute une rhétorique construite sur les figures de “pionniers”, de “révolutionnaires”, ou les objectifs de “prouesses technologiques” et de “progrès humain” vient anesthésier les méfiances. L’effet domino et le sentiment de groupe renforçant le bien-fondé du projet que seuls des “ennemis” et autres représentants de l’establishment critiqueront. Pourtant, les résultats commerciaux ou d’investissement des participants ne seront enregistrés sur aucun document officiel, mais uniquement via les comptes et interfaces des plateformes. Et en cas de problème technique, les responsables pourront décliner toute responsabilité.