Les notaires numérisent la vente et les offres en ligne depuis quelque temps déjà. Les agents immobiliers, eux, en rêvent. Les procédures en ligne sont plus efficaces, assurément, mais les économistes immobiliers mettent en garde contre l’effet pervers de hausse des prix.
Biddit connaît un succès retentissant. En 2018, année de son lancement, cette plateforme de vente aux enchères en ligne des notaires a permis de réaliser 580 transactions immobilières. Un an plus tard, ce nombre s’élevait à 3.964 avant de passer le cap des 5.000 en 2020. L’an dernier, quelque 7.280 biens ont changé de propriétaire via la plateforme.
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Biddit connaît un succès retentissant. En 2018, année de son lancement, cette plateforme de vente aux enchères en ligne des notaires a permis de réaliser 580 transactions immobilières. Un an plus tard, ce nombre s’élevait à 3.964 avant de passer le cap des 5.000 en 2020. L’an dernier, quelque 7.280 biens ont changé de propriétaire via la plateforme. “Nous sommes très satisfaits, déclare Jan Sap, directeur général de la Fédération du notariat (Fednot). Biddit est désormais connu aussi bien des vendeurs que des acheteurs.” Il précise toutefois que la plateforme ne représente qu’une infime partie de l’ensemble des transactions réalisées, à savoir moins de 3%. Biddit se veut avant tout une alternative numérique à la vente publique classique dans le café du coin ou la salle paroissiale. “L’objectif est atteint, poursuit Jan Sap. Des ventes publiques sont encore organisées – certains notaires y tiennent – mais cela devient l’exception. La vente publique classique a encore sa raison d’être mais l’énorme avantage de la vente en ligne sur la plateforme Biddit est son indéniable efficacité.”Les candidats acheteurs ne doivent plus se déplacer sur le lieu de vente publique. L’enregistrement sur Biddit est hyper-facile. Le système des enchères est simple et convivial. Le seuil de participation très accessible fait en sorte que les enchérisseurs sont plus nombreux que pour une vente publique classique, pour le plus grand bonheur des propriétaires vendeurs. En 2021, chaque vente réalisée sur Biddit a attiré une moyenne de neuf enchérisseurs et totalisé 60 offres. Le gros avantage de Biddit, comparé à la vente classique, est son extrême rapidité. “Il ne faut pas signer de compromis, explique Jan Sap. L’acheteur ne doit donc pas attendre trois ou quatre mois avant la signature de l’acte de vente. Le notaire a déjà effectué toutes les recherches et les vérifications préliminaires. L’acheteur prend possession du bien dès le paiement, en général dans les six semaines après l’attribution.” Les agents rêvent eux aussi de leur système d’enchères en ligne. Au nord du pays, la CIB Vlaanderen, la principale fédération des agents immobiliers flamands, a lancé SmartBid le 4 avril. “Contrairement à Biddit, SmartBid ne sera pas une plateforme, du moins pas dans l’immédiat, insiste Kristophe Thijs, directeur de la communication au sein de la CIB Vlaanderen. C’est essentiellement un outil pour les agents qui peuvent l’associer, comme une sorte de widget, à un bien sur leur site web ou un site de petites annonces.” Autre différence notable avec Biddit: SmartBid n’attise pas la concurrence publique pour la vente d’un bien immobilier. “La vente publique avec surenchère est le monopole des notaires, précise Kristophe Thijs. SmartBid a été créé à la demande de nos membres. Bien que légèrement archaïque, la procédure de vente sous pli fermé a gagné en popularité l’an dernier du fait de la pandémie. Les acquéreurs potentiels remettent à l’agent une offre sur un bout de papier dans une enveloppe. Le but de SmartBid est de numériser et de formaliser la procédure.” Il n’existe pas de chiffres officiels mais Kristophe Thijs estime à 20-30% le nombre de ventes réalisées par les agents immobiliers grâce au système d’offre sous pli fermé. Un pourcentage surestimé, selon Johan Krijgsman, CEO du réseau d’agences immobilières ERA. A en croire les agents immobiliers d’ERA, seules 5% environ des ventes s’effectuent par ce biais. “Sur certains marchés recherchés, la proportion peut grimper jusqu’à 20% mais sur les autres marchés, elle est quasi nulle, lance Kristophe Krijgsman. Selon moi, même si le phénomène reste assez marginal, l’attention exagérée des médias a tendance à le faire passer pour la norme.” Koen Hoste, directeur stratégique du groupe immobilier Living Stone, affirme quant à lui: “A Louvain, neuf maisons sur dix se vendent grâce à un système d’offre”. Le succès de la vente via des systèmes d’offres s’explique par l’explosion de la demande et la flambée des prix. D’où cette question: les systèmes d’offres ne contribuent-ils pas à leur tour à l’emballement de la dynamique haussière des prix sur notre marché résidentiel? Selon Johan Van Gompel, senior economist du KBC Group, l’impact sur la progression des prix est plus que probable. Il argumente qu’en théorie, les systèmes de surenchère contribuent au bon fonctionnement du marché mais que dans la pratique, ils font souvent en sorte que “le vendeur s’approprie tout le pouvoir dans la procédure de vente”. “Quand tout se passe de façon transparente, les systèmes d’offre ont assurément des avantages, ajoute-t-il. Mais dans le cas de la vente sous pli fermé, l’acquéreur potentiel n’a aucune idée des prix proposés. D’où un fonctionnement anormal et asymétrique du marché: le vendeur en sait plus que le candidat acheteur.” Pour Koen Hoste, la plupart des candidats acheteurs sont satisfaits du système. “Ils ont au moins la chance de faire une offre”, dit-il. Et les agents n’incitent pas les acquéreurs potentiels à surenchérir. “Nous le constatons sur le terrain, certains propriétaires qui vendent leur bien eux-mêmes ne s’en privent pas.” Comme le souligne Kristophe Thijs, dans le cas de la vente sous pli fermé, il n’est pas question de surenchère. “Le candidat acheteur fait une offre en fonction de son estimation et de ses moyens”, explique-t-il. Biddit offre la possibilité de surenchérir mais dans le cadre d’une formule plus transparente, estime Johan Van Gompel. Les acquéreurs potentiels peuvent effectivement suivre les offres des autres. Toutefois, ce système comporte aussi certains risques, d’après lui. Il n’y a pas de plafond de prix, par exemple. Sauf si l’enchérisseur opte pour la surenchère automatique. Dans ce cas, il doit fixer préalablement un montant maximum. La facilité d’enchérir sans bouger de son canapé est un autre danger. “La vente en ligne ressemble à s’y méprendre à un simple jeu informatique, ironise Johan Van Gompel. On peut facilement se laisser prendre au jeu et faire grimper les enchères jusqu’à des sommes astronomiques.” “Or, c’est tout sauf un petit jeu informatique, réagit Jan Sap. Vous avez intérêt à bien vous renseigner et à pouvoir acquitter le prix offert car chaque offre est contraignante.” Il apporte une dernière précision: la moyenne des prix de vente sur Biddit est moins élevée que celle des prix nationaux. Dans son argumentation, Johan Van Gompel cite la littérature scientifique selon laquelle “les prix de vente résultant d’une transaction ‘faire offre à partir de’ avec possibilité de surenchère sont provisoires et indicatifs quant aux prix de vente négociés”. “Les deux systèmes impliquent donc le risque d’une spirale haussière de pression constante sur les prix susceptible de provoquer la surchauffe du marché belge”, conclut l’économiste de la KBC. A en croire Sven Damen, économiste immobilier de l’université d’Anvers, l’impact sur la hausse des prix de vente sous pli fermé est difficile à prouver scientifiquement. “Deux scénarios sont possibles, dit-il. Soit ces formules de vente influencent la concurrence escomptée des autres surenchérisseurs, ce qui pousse les acheteurs potentiels à faire une offre supérieure. Soit, vu la demande considérable, les agents ont recours à cette formule pour la gérer efficacement. Les deux scénarios sont plausibles mais il est quasi impossible de les distinguer.” Koen Hoste, quant à lui, en est certain: “Les systèmes d’offres poussent effectivement les prix à la hausse, affirme-t-il. Ne tournons pas autour du pot: les agents immobiliers ne sont pas des assistants sociaux ; ils travaillent pour le compte des propriétaires qui souhaitent vendre leur bien au meilleur prix. La vente avec surenchère permet d’obtenir des prix de 5 à 10% supérieurs à la valeur maximum estimée”. On l’a compris, l’exhaustivité des informations accessibles à tous les acteurs est une condition sine qua non au bon fonctionnement du marché. Une condition pourtant rarement remplie sur notre marché résidentiel particulièrement hétérogène. Un des principaux problèmes est l’accès très limité des candidats acheteurs et des vendeurs de biens immobiliers à l’historique des données relatives aux transactions. Les données publiques disponibles, comme les moyennes et les prix médians des habitations et des appartements, constituent des informations intéressantes, certes, mais insuffisantes pour l’estimation du prix correct d’un bien individuel. C’est pourquoi tant le prix demandé que le prix de vente divergent parfois considérablement de la valeur marchande réelle (théorique). Ce qui explique aussi la position privilégiée des agents sur le marché immobilier: de par leur expérience des ventes similaires dans le quartier, ils ont une nette longueur d’avance sur les autres acteurs en termes d’informations. Ne serait-il pas souhaitable, dès lors, de rendre publics les prix des transactions pour les biens individuels également? Absolument, affirme Sven Damen qui cite une étude israélienne sur l’impact d’un tel “choc d’information”. Un jugement du tribunal de 2010 oblige les services fiscaux israéliens à publier toutes les données relatives aux transactions immobilières sur leur site internet. “Les chercheurs ont comparé les transactions résidentielles avant et après cette obligation pour en évaluer l’incidence sur les prix, commente l’expert. Et plus précisément sur la distribution des prix de vente, à savoir dans quelle mesure ils diffèrent de la valeur réelle. Du point de vue de la théorie économique, une meilleure information devrait réduire l’ampleur de la distribution, ce que confirme l’étude israélienne.” Il apparaît par ailleurs que l’impact du choc d’information est plus marqué dans les quartiers moins privilégiés, socioéconomiquement plus faibles. Une des explications possibles est la plus grande facilité des familles à hauts revenus de bien s’informer. “L’étude prouve la pertinence de mettre un maximum d’informations à disposition, estime Sven Damen. Les candidats acheteurs doivent pouvoir choisir l’habitation qu’ils veulent acquérir en parfaite connaissance de cause. Il s’agit quand même de l’achat le plus important de leur vie. Tous les prix des transactions sont connus des autorités. Ces informations sont donc disponibles. Au Royaume-Uni et en France, il est possible de les consulter.”