Guerre en Ukraine: inflation, récession ou stagflation?

LA FIDUCIAIRE

Experts-Comptables ITAA

Les mots en “ion” se multiplient pour désigner le futur de nos économies. Beaucoup d’incertitudes subsistent. Mais une certitude: plus l’énergie est chère, moins la croissance est élevée.

Alors que la guerre en Ukraine fait rage et que l’escalade des sanctions occidentales et des contre-sanctions russes ne semble pas s’arrêter, le risque d’un choc économique de grande ampleur apparaît de plus en plus probable. Et le terme de stagflation (mot valise créé à partir de stagnation et inflation), que l’on n’avait plus utilisé depuis les chocs pétroliers des années 1970, revient dans les esprits.

Alors que la guerre en Ukraine fait rage et que l’escalade des sanctions occidentales et des contre-sanctions russes ne semble pas s’arrêter, le risque d’un choc économique de grande ampleur apparaît de plus en plus probable. Et le terme de stagflation (mot valise créé à partir de stagnation et inflation), que l’on n’avait plus utilisé depuis les chocs pétroliers des années 1970, revient dans les esprits. La stagflation constitue un risque majeur. Il a en effet fallu 10 ans (de 1973 à 1983) pour étouffer ce mélange délétère d’absence de croissance et de forte hausse des prix causé par l’envolée du prix du baril, des salaires et des prix à la consommation. Détail: c’est pour combattre l’hydre stagflationniste que la Belgique avait cassé sa tirelire fin des années 1970 et début des années 1980, créant notre problème de dette publique… toujours non résolu depuis. Quelle est la situation aujourd’hui? “L’Europe obtient près de 40% de son gaz naturel et 25% de son pétrole de la Russie, observe Carsten Brzeski, économiste en chef pour la zone euro chez ING. L’Ukraine et la Russie sont également appelées le grenier à blé du monde et les prix des denrées alimentaires risquent également de grimper en flèche, poursuit-il. Les deux pays représentent environ un quart du total des exportations mondiales de blé. Il faut également mentionner la question de l’approvisionnement. Pour l’Europe, les effets pourraient être graves, compromettant le rebond de la consommation industrielle et privée que nous attendions avec l’assouplissement des restrictions mises en place avec le variant omicron.” L’économiste en chef d’ING ajoute que les craintes d’inflation sont également alimentées par la menace de pénuries de semi-conducteurs et de métaux essentiels tels que le palladium, l’aluminium et le nickel, ce qui perturberait encore davantage les chaînes d’approvisionnement mondiales qui souffrent déjà de la pandémie. La Russie représente en effet plus de 43% de la production mondiale de palladium, un métal, rappelle Carsten Brzeski, “qui est utilisé dans la production automobile, les téléphones portables et même les plombages dentaires”. Le nickel, quant à lui, est utilisé pour fabriquer de l’acier et des batteries de voitures électriques. “A court terme, les perturbations de l’approvisionnement en énergie et en matières premières pèseront sur la croissance et feront grimper l’inflation plus longtemps.” Une inflation qui, sur un an, a atteint 5,8% en février pour la zone euro. “Les risques de stagflation ont augmenté, notamment pour l’Europe”, affirme l’économiste. Mais que la situation américaine soit différente de la nôtre complique encore la donne. “Les Etats-Unis, grand producteur de pétrole et de gaz, sont certes moins impactés qu’en Europe mais ils ont un marché de plein emploi et éprouvent déjà des tensions importantes sur les salaires”, explique Bernard Keppenne, l’économiste en chef de CBC. En février, l’inflation aux Etats-Unis a en effet atteint 7,9%, une hausse qui n’avait plus été observée depuis 40 ans. “Cette situation va obliger la Réserve fédérale à augmenter ses taux car sa grande crainte est que la hausse des salaires n’entraîne une spirale inflationniste. Mais cette hausse des taux destinée à ramener l’inflation dans les objectifs de la banque centrale pèsera sur la croissance américaine.” L’Europe n’est pas dans cette situation. “Nous n’avons pas de pression sur les salaires aujourd’hui et notre inflation est essentiellement liée à la hausse des prix de l’énergie. Si la BCE ( Banque centrale européenne, Ndlr) augmentait ses taux, cela ne ferait qu’aggraver la situation”, ajoute Bernard Keppenne. On a d’ailleurs vu, lors de la réunion de la BCE de jeudi dernier, qu’elle n’a pas parlé de relever ses taux. Mais si les taux en dollar remontent et que ceux en euro restent au plancher, les prix des matières premières (libellés en dollars) feront encore plus mal aux Européens. Certes, certains refusent de se montrer alarmistes. Le prix Nobel d’économie Paul Krugman estime dans le New York Times qu’il ne faut pas s’énerver. “Il est peu probable que le choc Poutine soit aussi grave que les chocs pétroliers qui ont secoué l’économie mondiale dans les années 1970”, note-t-il. Paul Krugman avance notamment que l’économie mondiale est aujourd’hui moins sensible au pétrole qu’il y a 50 ans et que la réaction des marchés est exagérée. Il poursuit qu’il faudrait aussi relativiser l’impact de la hausse des produits alimentaires dans les économies avancées. “Dans les régions riches comme l’Amérique du Nord et l’Europe, cette flambée des prix sera douloureuse mais, pour l’essentiel, tolérable simplement parce que les consommateurs des pays avancés consacrent un pourcentage relativement faible de leurs revenus à l’alimentation”, argumente Paul Krugman. Mais il ajoute que “pour les nations plus pauvres où l’alimentation représente une fraction énorme du budget familial, le choc sera beaucoup plus sévère”. Ce relatif optimisme est cependant loin d’être partagé car nous ne sommes pas aujourd’hui dans la même configuration que lors des chocs pétroliers des années 1970. “La grande différence par rapport à ces années est que nous avions déjà des tensions sur l’énergie et les matières premières avant la crise en Ukraine, souligne Bernard Keppenne. Avec la pandémie, nous avons eu un choc de la demande. Et nous sommes confrontés aujourd’hui à un choc de l’offre. Le seul élément rassurant est que si la demande se réduit, un rééquilibrage pourra s’effectuer et donc alléger la pression sur les prix de certaines matières premières.” La grande question, pour avoir une vue sur l’avenir, est de savoir si les prix de l’énergie vont continuer de s’envoler. “Si les cours pétroliers se maintiennent à leurs niveaux actuels, de 110 à 120 dollars le baril, nous pourrions encore avoir une croissance de 2,7% cette année dans la zone euro, avance Bernard Keppenne. Mais si le baril monte jusqu’à 180 ou 200 dollars, c’est autre chose, et la question de la stagflation se pose.” Que l’on parle du pétrole ou du gaz, une envolée des prix aurait en effet un impact négatif sur les marges des entreprises, sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la confiance de tous. “Ce risque de stagflation est déjà très présent, ajoute l’économiste de CBC. On observe un aplatissement de la courbe des taux aux Etats-Unis, voire un début d’inversion ( avec des taux à court terme plus élevés que des taux à long terme, Ndlr) qui est le reflet d’une crainte d’un ralentissement important de la croissance. Un ralentissement pourrait arriver en 2023 aux Etats-Unis, mais plus tôt en Europe si l’impact énergétique se concrétise”. Geert Peersman, professeur d’économie à l’université de Gand, craint même un recul de 3% du PIB au niveau mondial. Il avait calculé voici quelques années qu’une baisse de 1% de la production mondiale de pétrole faisait augmenter les prix du pétrole de 15 à 20%, et même jusqu’à 30% sur les marchés pétroliers étroits, comme en 2008. “Or, souligne-t-il, l’exportation nette de la Russie représente environ 6,4% de la production mondiale de pétrole, ce qui constitue le choc initial de l’offre de pétrole. Une interdiction mondiale des importations de pétrole russe pourrait donc entraîner une hausse des prix pétroliers de 100 à 200% et déclencher une baisse du PIB réel d’au moins 3%…” Geert Peersman relève qu'”en outre, il faut ajouter les conséquences d’une interdiction d’importation de gaz et d’autres produits de base que la Russie exporte”. Des études montrent qu’un choc d’approvisionnement défavorable en produits alimentaires de base peut faire augmenter les prix de ces produits de 10%… “Si nous sommes dans le scénario du pire, si nous décidons – ou si la Russie décide pour nous – de nous couper du gaz et du pétrole, le baril peut s’envoler à 200 dollars, avec des conséquences extrêmement négatives en termes d’inflation et de croissance, résume Bernard Keppenne. Si nous avons ces ruptures d’approvisionnement, certaines entreprises ne pourront plus produire – on le voit déjà – et nous serons clairement partis dans un scénario de stagflation.” Mais même si les prix de l’énergie ne s’envolent pas dans la stratosphère, le coût de la guerre sera important. En se basant sur un surcoût du baril qui serait limité à 40 dollars, le NIESR (National Institute of Economic Research), le plus ancien institut britannique de recherche économique indépendant, estime que le conflit en Ukraine pourrait réduire le niveau du PIB mondial de 1% d’ici 2023, soit environ 1.000 milliards de dollars de moins que prévu. La guerre ajouterait jusqu’à 3% à l’inflation mondiale en 2022 et environ 2% en 2023. Pour la zone euro, le conflit ferait perdre un peu moins de 1,5% du PIB cette année et un peu moins de 0,8% l’an prochain non seulement en raison de la hausse des prix de l’énergie et des problèmes liés à l’approvisionnement en matières premières, mais aussi à cause de l’arrêt d’une grande partie du commerce avec la Russie, de la réorientation des investissements publics dans la sécurité et la défense ainsi que du coût de l’accueil de 2 millions de réfugiés. L’institut britannique, en se basant sur des chiffres de l’OCDE, estime à 10.000 dollars par an les dépenses nécessaires pour accueillir un réfugié. Deux millions d’Ukrainiens représentent donc une charge annuelle de 20 milliards… Pour tempérer cette sombre vision, on peut avancer deux éléments. Le premier est qu’avant le déclenchement de l’invasion, l’économie aux Etats-Unis et en Europe était repartie d’un bon pied et affichait une croissance assez forte en raison du rattrapage post-covid. “Cet effet de rattrapage est un élément qui permet d’espérer éviter la stagflation”, indique Bernard Keppenne. L’autre élément est la volonté des instances européennes de se désengager de cette dépendance vis-à-vis de la Russie et de mobiliser des moyens pour cela. “La Commission européenne a proposé une forme de mutualisation des dettes pour soutenir la transition énergétique et l’impact négatif de la guerre”, note l’économiste en chef de CBC. Mais on sait que l’Allemagne et les Pays-Bas n’applaudissent pas cette idée. Certains espèrent aussi que l’on pourrait, en mettant en oeuvre une série de mesures (d’économie ici, d’accélération de la production renouvelable là-bas…), mitiger l’impact du choc, et même pouvoir se passer totalement du gaz russe d’ici l’hiver prochain. Bernard Keppenne n’y croit pas. “Se passer du gaz russe pour le prochain hiver est impossible. Si nous voulons atteindre notre objectif climatique et réduire notre dépendance à la Russie, le modèle dans lequel nous devons évoluer consiste à diversifier les sources d’approvisionnement, développer les énergies renouvelables, développer le recyclage des matières premières et réfléchir à une diminution globale de la consommation.” Professeur à l’UCLouvain et à l’ULB, Bruno Colmant aussi est convaincu qu’il sera impossible d’impulser à l’économie européenne un effort tel qu’elle pourra rapidement se passer des fournitures russes. “C’est impossible. La vérité est que nous aurons un choc inflationniste gigantesque, sans précédent, qui amputera le pouvoir d’achat. Se posera la question de la tolérance de la population à l’égard de l’augmentation des prix et de la compétitivité des entreprises. Je crois que nous risquons vraiment d’entrer dans une période d’auto-alimentation de l’inflation. Les gens vont se rendre compte que si le taux d’inflation est de 7 ou 8%, l’inflation qu’ils vont ressentir – et je pense surtout aux ménages à bas revenus – sera plutôt du 15 ou 20%. Nous n’avons pas encore mesuré les conséquences sociales de ces événements.”

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