L’avocat Laurent Cloquet souligne qu’il s’agit de tenter de retourner le commandement militaire de l’Etat russe, les oligarques et la population contre le président. Même si la Russie s’est forcément préparée.
Laurent Cloquet est avocat, spécialiste en droit bancaire et financier, en charge de dossiers liés aux sanctions internationales au sein du bureau Buyle Legal à Bruxelles. Il évoque pour Trends Tendances les sanctions décidées par les Américains et les Européens contre la Russie.
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Laurent Cloquet est avocat, spécialiste en droit bancaire et financier, en charge de dossiers liés aux sanctions internationales au sein du bureau Buyle Legal à Bruxelles. Il évoque pour Trends Tendances les sanctions décidées par les Américains et les Européens contre la Russie.Comment peut-on qualifier les sanctions annoncées?Nous sommes ici dans un spectre très large que l’on peut qualifier d’embargo économique, même si on n’utilise plus ce mot. On vise à restreindre les exportations, dans un certain nombre de secteurs particuliers comme les technologies, certaines matières premières pour les raffineries de pétrole par exemple, ou encore tout ce qui concerne le secteur du transport. C’est un embargo ciblé sur certains secteurs, certaines entreprises, mais aussi certaines personnalités du régime.Parmi les grandes orientations de ces sanctions, on touche aussi quelque 70% du secteur financier, il s’agit d’empêcher les banques russes de se financer sur les marchés internationaux. Les Américains, qui ont avancé plus vite que les Européens, ont déjà décidé de s’en prendre à la VTB Bank, par exemple, qui est la deuxième banque russe la plus importante. Ils visent aussi des entreprises come Gazprom ou le secteur énergétique. Au niveau européen, c’est parfois plus compliqué d’agir aussi fort notamment parce que les Allemands sont fortement concernés par ces liens économiques avec la Russie. Mais notre Premier ministre, Alexander De Croo, plaidait, lui, pour la fin des sanctions graduelles et des mesures décisives pour rendre la vie impossible au régime de Poutine.Ces sanctions sont-elles précisément décisives?L’ojectif de ces sanctions, c’est de faire une pression maximale sur Vladimir Poutine. On cible le commandement militaire et son entourage à la tête de l’Etat, dont on a pu percevoir que tous ne le suivaient pas focément dans cette aventure militaire en Ukraine. On vise les oligarques: beaucoup d’entre eux suivent Poutine parce qu’ils ont profité de son régime pour s’enrichir, notamment à travers des nationalisations, mais pourraient vaciller dès lors qu’on gêle leurs avoirs.Enfin, il s’agit d’irriter la population, sans la toucher directement, mais en la privant de certains biens de consommation dans le secteur technologique notamment, afin qu’elle exprime son mécontentement. Bien sûr, la population est globalement derrière Poutine, mais on voit déjà que certaines expressions critiques ont lieu, à l’image de ce quotidien publié en russe et en ukrainien.Le but est de tenter ce retournement. Bien sûr, cela prend du temps et il y a une capacité de résilience du régime. Mais l’économie russe est quand même très faible, avec un PIB à peine supéreur à celui de l’Espagne pour un pays bien plus grand.Pourquoi ne pas avoir coupé la Russie duréseau interbancaire Swift?Ce pourrait être une étape ultérieure, que certains nomment “l’arme atomique” financière. On avait coupé le réseau Swift à l’Iran en 2012, dans le cadre du dossier nucléaire, et cela avait eu un effet immédiat avec une contraction de son PIB de 5%. Le risque, c’est que cette atomique ne se retourne contre nous: les Iraniens s’étaient retournés à l’époque vers le système chinois et les Russes pourraient en faire de même.Les sanctions étaient attendues, n’ont-elles pas été anticipées par la Russie?Oui, c’est d’ailleurs pour cela que certains hommes politiques – comme le Français Jean-Luc Mélenchon – affirment que ces sanctions ne servent à rien. Il y avait déjà eu une première série de sanctions en 2014, après l’annexion de la Crimée, et les Russes ont développé une expertise dans la capacité à les contourner: ils ont d’ailleurs conseillé les Syriens et les Iraniens dans ce domaine.Ces sanctions ne constituent pas l’arme absolue, c’est une évidence. Mais que peut-on faire de plus, sinon intervenir militairement?