Brice Le Blévennec, “Chief visionary officer” d'Emakina: “Nous pouvons construire un monde meilleur”

LA FIDUCIAIRE

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Le cofondateur du groupe d’agences digitales Emakina publie un livre où il imagine le monde en 2051. Une ode au progrès, à l’encontre d’un esprit du temps trop anxiogène à ses yeux.

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Brice Le Blévennec est chief visionary officer au sein de la société belge Emakina, première agence de digital business indépendante en Europe, cofondée en 2001, et qui vient d’être reprise par le groupe américain Epam. En ce début janvier, cet esprit créatif et volubile publie un ouvrage aux éditions Racine pour exposer une trentaine de scénarios, du plus plausible ou fictif, qui sont autant de Visions d’un monde meilleur à un horizon de 30 ans. Il explique une démarche résolument à contre-courant du pessimisme ambiant. TRENDS-TENDANCES. Vous vouliez rédiger un livre prospectif, plutôt qu’un ouvrage économique classique… BRICE LE BLÉVENNEC. C’était mon ambition. Au sein d’Emakina, j’ai ce titre un peu particulier pour la Belgique de chief visionary officer: c’était une façon de distinguer ma fonction de celle du CEO quand on a introduit notre société en Bourse, il y a plus de 15 ans. Avec le temps, cette mission s’est bien ancrée: il s’agit d’anticiper en permanence et de faire en sorte que l’agence soit parée à servir les clients en proposant les bonnes technologies et en évitant les pièges, qui sont nombreux. Avec ce livre, je ne voulais pas faire le bouquin de plus sur la stratégie digitale, comme on me l’avait proposé: il y en a des kilos, cela tombe des mains et, en outre, ces stratégies changent tous les jours. J’ai préféré écrire un ouvrage donnant des perspectives aux gens qui en ont envie, avec un horizon plus large, jusqu’en 2051. Vos “visions d’avenir” sont autant de solutions possibles pour répondre aux défis de notre époque… Oui parce que, fondamentalement, j’ai un problème avec l’état d’esprit actuel, fort anxiogène. Je trouve notre monde tragiquement embêtant avec cette idée de régression: on va tous jeter nos voitures et faire du vélo, on ne va plus manger que des légumes locaux, on ne va plus voyager et mes enfants ne verront jamais les chutes du Niagara parce que l’avion c’est mal… Tout cela m’ennuie profondément, moi qui ai connu la révolution, l’ordinateur avec 1K, un monde sans GSM et sans internet. Depuis, les possibles se sont multipliés par des milliards. Le monde est devenu infiniment meilleur grâce à la technologie. Je comprends qu’il y a la pollution et le réchauffement climatique, bien sûr, tout comme je comprends qu’il faut sortir du pétrole parce qu’il brûle le futur, mais il y a tant d’autres possibles. L’homme a bien réussi à se transformer d’un sauvage qui mange des fruits des bois et tue des animaux à mains nues, en ce qu’il est devenu aujourd’hui, jusqu’à aller sur la Lune. Je crois au progrès, au génie humain et aux technologies qui n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Nous avons à peine exploré les manipulations génétiques, les nouvelles formes de nucléaire, l’intelligence artificielle. On peut encore résoudre bien des problèmes, il suffit de ne pas baisser les bras et de continuer à investir dans la science. Non, ne coupons pas les budgets de la recherche, ne fermons pas les réacteurs nucléaires et n’instaurons pas de règles morales trop strictes, comme on le fait. Cette régression est due au retour du spirituel, de la peur et de la perte de confiance dans la science. Vous proposez une trentaine de scénarios pour l’avenir: la plupart d’entre eux sont en gestation, même s’il y a une part d’utopie. J’ai voulu faire un exercice pour montrer que rien de tout cela n’est impossible. Dans des conversations de café du commerce, on vous dit que l’eau douce illimitée, c’est de la foutaise: mais non, cela est possible. Même les perspectives les plus farfelues le sont: c’est juste une question de temps, d’investissement, d’énergie… Si on commence à mettre en doute la science, à ériger des barrières de toutes sortes, ce seront d’autres qui le feront. Les Chinois ont déjà exploré bien des pistes. Regardez les petites centrales nucléaires. On a freiné leur développement, mais quelle erreur! Vous écrivez: “Constamment imaginer un avenir positif afin de construire le chemin qui y mène”. Cela ouvre des opportunités économiques énormes? Exactement. Quand on entend Greta Thunberg répéter que le monde va disparaître, cela ne donne envie à personne d’avancer, cela fait peur aux gens. Par contre, en dessinant un futur idéalisé mais réaliste, on donne la vision à plein d’entrepreneurs de construire ce monde à venir. J’espère motiver des étudiants qui vont embrasser des carrières scientifiques, pousser les chercheurs à aller sur des territoires risqués, inciter les entreprises à financer des projets sur le long terme. C’est tout un écosystème, une société qui doit se mettre en mouvement. J’ai l’impression, malheureusement, que dans certaines régions du monde, dont la nôtre, on a cessé de croire en ce progrès. C’est assez tragique. Je voyage beaucoup et cela me frappe. Je suis allé à Dubaï. Bien sûr que tout n’y est pas parfait, mais les gens se battent et investissent pour sortir de leur désert. Alors que chez nous, on nous conseille de ne plus construire sur de nouveaux terrains. En Thaïlande, j’ai vu une société qui se développe à une vitesse incroyable, avec une agilité sans bureaucratie. Je crains que l’on ne se sclérose et j’aimerais donner un coup de pied pour que l’on se remette en mouvement. Nous devons nous rappeler que des choses folles restent possibles. L’action doit-elle venir prioritairement des entreprises? Elles ont un rôle important à jouer, notamment en termes de financement, mais c’est de chacun d’entre nous que dépend ce réveil. Veut-on continuer à voir le monde ou entend-on rester dans son village? Veut-on des avions qui volent à l’hydrogène ou va-t-on limiter drastiquement les voyages? Ces choix de société dépendent de nous, nous devons nous battre pour qu’on les opère. Les individus ont un grand rôle à jouer par leurs désirs et leurs rêves. Le rôle des livres de science-fiction sur les technologies, par exemple, est déterminant: l’intelligence artificielle, les voitures qui se conduisent toutes seules, les engins volants… Les responsables de Google et des sociétés de la Silicon Valley s’inspirent en permanence de ces univers de fiction. Ils ne sont pas levés un matin en se disant qu’ils allaient concevoir des dirigeables afin de répandre internet sur la Terre, pour prendre l’exemple du projet Loon, une des anciennes filiales de Google (fermée début 2021, Ndlr). En Europe, on a déjà raté les révolutions initiées par Google, Amazon, Elon Musk… On a légèrement loupé cela, en effet. C’est même un sketch: l’Europe ne compte pas une seule boîte importante de ce type. Pour l’anecdote, j’ai investi dans ContactOffice en 1998, une société qui existe toujours. Des années avant Google, elle a élaboré l’équivalent de Gmail, mais en plus puissant, utilisable sur tous les appareils, avec courrier, carnet d’adresses, calendrier, documents, etc. Elle gère des milliers de comptes. Mais en Belgique, dès qu’il y a un appel d’offres pour Proximus, on se tourne vers les Etats-Unis. Il y a une forme de mépris pour nos entreprises ou de manque de confiance en nos propres compétences. Chez Emakina, nous avons eu du succès à l’étranger, mais c’est resté extrêmement difficile en Belgique. Comme si une solution locale de qualité n’était pas possible chez nous. C’est vraiment un problème culturel profond. Il fut un temps où des tas de patrons belges allaient voir les bureaux de Google ou de Facebook – ils n’y voyaient rien, en fait… – pour s’inspirer. Alors qu’au coin de la rue, il y a des produits de meilleure qualité. Nous avons raté le coche et les responsables se trouvent au sein de nos gouvernements ou de nos grandes entreprises. En ce qui concerne Emakina, notre rachat nous permettra de jouer dans cette autre division. A-t-on peur de prendre des risques en Europe? Ou est-ce une question de foi en son identité? Les deux. Pour reprendre la phrase connue, personne ne s’est jamais fait virer au sein d’une entreprise pour avoir choisi IBM. C’est un manque de courage. On ne veut pas être responsable des échecs, alors on mutualise les décisions pour se couvrir. Guy Verhofstadt, notre ancien Premier ministre, regrettait que l’on n’ait pas travaillé au niveau européen pour avoir un Amazon, un Google… Il a raison, il y a une sortie de guerre entre nations où Berlin, Londres, Paris, etc., veulent chacune être le centre de la technologie. Il n’y a jamais eu la volonté de créer une Silicon Valley européenne multi-pays. L’Union européenne reste un assemblage de pays avec un espace économique, mais sans gouvernance économique. Le problème des langues, aussi, est un réel obstacle. L’Europe est-elle par ailleurs trop à cheval sur les questions éthiques, qui freineraient certaines évolutions? Certains scénarios futuristes ne constituent pas toujours le meilleur des mondes: la machine pourrait-elle dépasser l’homme ou les manipulations génétiques le modifier? J’entends beaucoup parler de cet encadrement éthique. C’est “la” question. Mais si on travaille un peu sur l’intelligence artificielle, à part si l’on veut faire un effet de manche à la Elon Musk, on comprend vite que la machine ne dépassera jamais l’homme. Cela n’a aucun sens, ce sont juste des algorithmes. Par contre, la création de robots tueurs qui portent une arme, que l’on va téléguider sur les terrains de conflits, ça, cela m’inquiète et c’est plausible. Vous remarquerez que j’ai évité de le suggérer dans le livre. Les armes autonomes sont interdites, mais elles existent déjà. Les thérapies génétiques, aussi, existent déjà. On opère déjà une sélection à la naissance en avortant quand il y a des malformations ou des maladies indésirables. La manipulation des bébés pour qu’ils aient des yeux plus beaux ou qu’ils soient plus intelligents, à terme, ce sera sans doute inévitable. Ce n’est peut-être pas le meilleur des mondes, mais il est très difficile de bloquer quelque chose qui émane d’une force de l’évolution humaine. Dépasser notre condition, c’est le propre de l’homme, depuis nos vêtements, nos voitures, nos lunettes… La prochaine étape consistera à remettre en évolution notre corps, notre biologie. Mon grand-père, qui est monté à pied de la Bretagne vers Paris et a vu la naissance de la voiture, m’a dit un jour lorsque je lui ai montré les capacités de mon premier iPhone, pour communiquer avec chacun et obtenir des milliards d’informations de tous les continents: “Tu as les pouvoirs d’un dieu”. Avoir les pouvoirs d’un dieu, c’est avoir la capacité de changer le monde. Il nous reste à le faire: changer le monde.

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