La prudence est une des principales caractéristiques du marché résidentiel belge. Conscients de la brique quasi mythique qu’ont les Belges dans le ventre, les promoteurs s’aventurent rarement en terrain peu ou mal connu. Trois initiatives récentes montrent que créativité peut néanmoins rimer avec immobilier.
1. Rooftopbar pendant un an ou plus
Le coliving à grande échelle est désormais un phénomène courant qui a fait ses preuves dans les métropoles internationales et les grandes capitales. Ce concept a-t-il une chance de percer dans une ville de taille moyenne comme Liège? Le promoteur immobilier Life a relevé le défi. Sur le site universitaire délaissé de Val Benoît, dans le sud de l’agglomération liégeoise, Life a reconditionné l’ancien institut de mécanique en 232 logements de colocation.
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Le coliving à grande échelle est désormais un phénomène courant qui a fait ses preuves dans les métropoles internationales et les grandes capitales. Ce concept a-t-il une chance de percer dans une ville de taille moyenne comme Liège? Le promoteur immobilier Life a relevé le défi. Sur le site universitaire délaissé de Val Benoît, dans le sud de l’agglomération liégeoise, Life a reconditionné l’ancien institut de mécanique en 232 logements de colocation. Six mois après le lancement de cette colocation baptisée ARC, Life est plus que jamais persuadé de la viabilité de cet ambitieux projet. “Je n’ai jamais rien vu de pareil, confie le CEO Toon Haverals. Nous avions prévu 18 mois de commercialisation environ mais tout était loué au bout de quatre mois. Et la liste d’attente recense déjà plus de 50 candidats colocataires.” Le projet ARC se fonde sur le principe de base de la colocation, à savoir partager pour avoir plus. Les logements privatifs compacts sont complétés par des espaces communs. Chez ARC, la superficie des lofts oscille entre 35 et 65 m2. Parallèlement à leur logement privatif relativement exigu, les locataires ont accès à de nombreuses infrastructures: bibliothèque, lounge, salles de réunion, cuisine commune et salle à manger (avec piano), salle de wellness, de fitness et de yoga et, cerise sur le gâteau, rooftop bar avec vue imprenable sur la Meuse. Autre caractéristique du concept de colocation: les espaces partagés doivent contribuer à l’esprit de communauté dans l’immeuble. “Les locataires sont sélectionnés sur base d’un unique critère: leur volonté de partager le quotidien avec d’autres dans ce type de logement”, explique Hélène Menschaert, hospitality manager d’ARC. La flexibilité se vérifie à tous les niveaux: les habitants louent pour une période de 3 à 12 mois, avec reconduction du bail d’année en année. Le loyer varie de 550 à 700 euros. “Le loyer s’entend charges comprises, y compris l’utilisation de toutes les installations communes”, souligne Toon Haverals. Le CEO van Life.be voit plusieurs explications au succès instantané d’ARC: sa situation stratégique entre le centre-ville de Liège et le campus universitaire de Sart-Tilman, l’architecture iconique et l’aménagement intérieur intelligent du bureau anversois Studio Contekst “qui renforce l’âme du bâtiment”. “Le coliving répond aussi au mode de vie et de logement d’un large public”, poursuit Toon Haverals. A commencer par les jeunes qui débutent dans la vie professionnelle et souhaitent vivre de façon indépendante tout en retrouvant l’esprit de communauté qu’ils ont connu pendant leurs études. La flexibilité de la formule intéresse aussi les personnes en phrase de transition, après une séparation, ou l’obtention d’un nouveau job, par exemple. La formule plaît à tous les âges. Notre plus vieux colocataire a 72 ans.” A en croire Toon Haverals, il importe également de trouver le bon équilibre. “Il faut un bon rapport entre l’espace privatif et les commun, précise-t-il. Le fait de partager les infrastructures communes permet de vivre dans un espace légèrement plus compact. Encore faut-il un nombre minimum de mètres carrés pour se sentir à l’aise et profiter au maximum des communs. Autrement dit, une certaine grandeur d’échelle est indispensable pour offrir un tel choix d’infrastructures. Je doute de la pertinence des projets de colocation pharaoniques qui émergent dans des villes comme Londres et Amsterdam. Ces mastodontes de coliving qui totalisent parfois plus de 800 logements me font penser à des élevages intensifs. Le grand nombre d’habitants accroît l’anonymat et limite l’esprit de communauté. Sans parler de la rotation nettement plus marquée dans ce genre de grand complexe.” La société Life a-t-elle l’intention d’étendre ce concept à d’autres villes belges? “Absolument, s’enthousiasme Toon Haverals. A Bruxelles, Anvers et Gand, son succès ne fait aucun doute. Nous sommes de plus en plus convaincus que de tels modèles innovants de logement présentent une plus-value dans les petites villes également.” Nombre d’entre elles ne manifestent pourtant pas particulièrement leur enthousiasme, reconnaît Toon Haverals. “Je peux comprendre la réticence des villes et des administrations. Les villes tiennent à mixer les populations et à diversifier l’offre de logement. A juste titre. Mais est-il indispensable d’imposer la mixité dans chaque projet? Je ne pense pas. Il faut tenir compte du contexte, de la situation, du bâtiment, etc. En certains endroits, il doit être possible d’autoriser des immeubles s’adressant plus spécifiquement à un large public pour qui la colocation est la meilleure solution.” Les travaux de rénovation et de réaménagement du château de Boekenberg dans le parc éponyme à Deurne près d’Anvers débuteront au mois de novembre. L’ancien château de plaisance de style rococo est reconverti en “logement de symbiose”. Aux neuf logements privatifs s’ajoutent des espaces communs tels qu’une chambre d’ami, une cuisine et une salle à manger partagés. Le projet, baptisé Living, s’adresse plus spécialement aux personnes de 50 à 80 ans et plus. Du cohousing pour seniors? “Living est un mode de logement pour personnes dans leur deuxième moitié de vie qui combine l’attrait d’un lieu prestigieux et l’intérêt d’un public souhaitant vivre le plus longtemps possible de façon autonome”, déclare Steven D’Haens, administrateur de Symbiosis, l’ASBL à l’origine du projet. Symbiosis projette le même genre d’initiative à Gand et à Ostende. Même si le vivre ensemble intergénérationnel est une plus-value de la colocation souvent mise en exergue, Living n’accueillera pas de familles avec enfants. “C’est effectivement un des atouts du concept mais de tels projets existent déjà, réagit Steven D’Haens. Inutile de les multiplier. Living s’adresse aux personnes dont les enfants ont quitté le nid et qui entament une phase de vie qui reste ambitieuse. Les enfants sont toujours les bienvenus à Living, évidemment. Mais dans un groupe d’habitants avec enfants, la jeune génération attire forcément toute l’attention. Certains apprécient, d’autres considèrent qu’ils ont ‘déjà donné’.” La cohabitation et le choix de sites patrimoniaux sont deux éléments déterminants de Living. “Les liens interpersonnels contribuent à un plus grand bien-être et favorisent l’entraide, c’est bien connu, dit Steven D’Haens. Une étude du National Trust au Royaume-Uni montre que les lieux qui ont une âme et dégagent une certaine aura ont un effet positif sur la sensation de bien-être. Notre but est de conjuguer ces deux éléments pour que les seniors puissent retarder le plus possible leur admission dans un centre de logement et de soins.” Les habitants de Living s’engagent à vivre en bon voisinage et à prendre soin les uns des autres. Ils renoncent aussi à une éventuelle plus-value spéculative. Le bâtiment appartient à la fondation d’utilité publique Symbiosis. Les résidents ne sont pas des propriétaires au sens traditionnel du terme mais acquièrent un droit d’emphytéose. A l’échéance de ce droit, les habitants récupèrent leur mise. La plus-value, quant à elle, revient au projet et sert notamment à l’entretien du bâtiment et à modérer le prix du logement pour les futurs occupants. “Nous voulons nous départir de la logique immobilière selon laquelle un bien n’est qu’une accumulation de briques à monnayer dans le futur, lance Steven D’Haens. La philosophie de Living consiste à choisir de belles briques dans une bel endroit pour une qualité de vie optimale.” Symbiosis collabore avec trois bureaux d’architectes responsables de la reconversion du château: Polygoon Architectuur, Rooilijn Architectuur et Steenmeijer Architecten. Luc Roegiers, de Rooilijn Architectuur, applaudit des deux mains la volonté délibérée de Symbiosis d’opter pour des biens patrimoniaux. “L’achat d’un château comme celui de Boekenberg, vu le budget que cela implique, est tout simplement impossible pour la plupart d’entre nous. Une grande partie de notre patrimoine immobilier se délabre du fait de son inoccupation. Symbiosis fait appel à la force d’un groupe pour résoudre le problème. Seul bémol: on ne peut pas faire ce qu’on veut dans un bien de valeur patrimoniale.” Living est-il un concept niche ou pourrait-il intéresser un large public cible? “Dans les pays où le logement collectif est entré dans les moeurs, plus de 20% de la population envisagent de privilégier le modèle d’habitation collective, répond Steven D’Haens. D’où l’importance de montrer le bon exemple. La colocation classique gagne elle aussi du terrain dans notre pays. Mais pour passer à la vitesse supérieure, un petit coup de pouce des autorités serait le bienvenu. Non pas sous la forme d’une aide financière mais d’un assouplissement de la réglementation, d’une collaboration dans la recherche de sites appropriés, etc. Les autorités ont tout à y gagner. Nous contribuons à résoudre le problème du patrimoine négligé, nous ralentissons le flux des seniors vers les centres de soins résidentiels et nous créons une bulle d’oxygène sur le marché résidentiel classique. Faut-il le rappeler: chaque habitation devenue trop grande et remise sur le marché par des personnes âgées optant pour un de nos projets est un logement de plus à la disposition des jeunes ménages.” Même si l’offre du marché résidentiel belge est assez diversifiée, les différentes façons d’y accéder sont plutôt restreintes. Acheter ou louer? Les autres options sont limitées et/ou rarement proposées. Pour le groupe Van Roey, un modèle hybride à mi-chemin entre l’achat et la location complète utilement l’offre actuelle. Comme la coopérative d’habitation qui combine les avantages de la location et de l’achat: sécurité de logement, flexibilité, aucune préoccupation et constitution de capital. Les membres achètent non pas des briques mais des actions de la société coopérative, propriétaire d’un ou plusieurs bâtiments. Les actions donnent le droit de louer un logement. Si vous sortez de cette coopérative, vous récupérez votre investissement, majoré d’un rendement et d’une plus-value limités. Vous avez ainsi la possibilité de constituer un petit capital, ce qui n’est pas possible dans le cas de la location. Sous la bannière de Vlaanderen Circulair, le groupe Van Roey a constitué une équipe de recherche baptisée Cesco XL. Vito, UHasselt, les bureaux d’études Endeavour et RebelGroup, le bureau d’architectes Archipelago sont quelques-uns des partenaires. “Le but de ce groupe est de voir si et comment une coopérative d’habitation peut répondre à deux défis majeurs rencontrés sur le marché résidentiel: l’accessibilité financière et la durabilité”, dit Catherine Vangilbergen, development manager de Van Roey Immobilier. “L’Europe veut faciliter la transition vers une économie circulaire et compte notamment sur le secteur de la construction et de l’immobilier, constate Jona Michiels, process manager innovation du groupe Van Roey. Cela n’a rien d’étonnant. Notre secteur est en grande partie responsable des émissions de CO2 et de l’exploitation des matières premières. La construction circulaire doit permettre de réduire les déchets au strict minimum. Le principe est de créer un casco intelligent facilitant l’adaptation du bâtiment aux besoins changeants. Il n’est pas toujours simple d’effectuer les modifications nécessaires dans un immeuble appartenant à plusieurs propriétaires.” “C’est le cas notamment des grands blocs à appartements des années 1960 et 1970, souligne Catherine Vangilbergen. Bien que ces immeubles ne répondent plus aux besoins actuels et aux nouvelles normes énergétiques, il est extrêmement difficile d’entreprendre quoi que ce soit car il faut la majorité qualifiée au sein des copropriétaires.” Le modèle de l’investisseur (institutionnel) unique propriétaire du bâtiment résout le problème. “Mais, on n’a aucune garantie quant aux perspectives à long terme, propre à la construction circulaire, nuance Jona Michiels. L’investisseur peut fort bien décider du jour au lendemain de vendre ou démolir l’immeuble. Dans une coopérative d’habitation, chaque habitant/propriétaire se sent concerné et responsable. C’est un système hybride de propriétaires engagés qui participent à la réflexion et aux décisions quant à la meilleure façon de préserver le bâtiment.” Comment la coopérative d’habitation peut-elle aider à résoudre le problème de l’accessibilité financière? “Le principal obstacle à l’accès au marché résidentiel est la mise de départ personnelle de l’acheteur, reconnaît Catherine Vangilbergen. Dans le cas de la location, aucune mise de départ n’est nécessaire mais le locataire doit payer des mensualités et ne constitue pas de capital. La coopérative d’habitation est une formule hybride qui permet d’intervenir au niveau de ces trois composants: fonds propres, mensualités et constitution de capital. Trois boutons que le coopérateur peut manipuler à sa guise. Il achète une part dans la coopérative d’habitation. Cet apport, plus élevé que le loyer d’une habitation identique, lui permet de constituer un petit capital. Nous faisons en sorte que le bouton ‘apport personnel’ soit sur minimum, question de faciliter l’accès à la coopérative. Une des pistes envisageables est de permettre aux coopérateurs non résidents – aux investisseurs – d’acquérir une part des avoirs propres de la coopérative d’habitation.” Comme le souligne Catherine Vangilbergen, la coopérative d’habitation n’est pas neuve. “A Zurich, le concept est entré dans les moeurs. Environ 25% des Zurichois vivent en coopérative, soit le pourcentage de locataires dans notre pays. Il existe des coopératives d’habitation en Belgique également. Cera est un des principaux promoteurs de ce modèle. Plusieurs coopératives sont déjà actives et fonctionnent fantastiquement bien. Il s’agit la plupart du temps d’initiatives citoyennes, dépendantes de la demande car le projet ne peut se concrétiser tant qu’un groupe n’est pas formé. Notre modèle serait basé sur l’offre. Comme pour un projet immobilier classique, nous construisons un bâtiment répondant aux besoins de logement inhérents au lieu d’implantation. Le modèle basé sur l’offre est évolutif, c’est indispensable pour résoudre le problème de l’accessibilité financière. Il faut aussi une certaine grandeur d’échelle pour assurer la circularité. Notamment pour garantir la flexibilité de logement au sein du patrimoine de la coopérative d’habitation.”