Le groupe Solvay a lancé l’an dernier sa stratégie One Planet, à travers laquelle elle s’assigne d’ambitieux objectifs de réduction des émissions et de consommation des ressources. Ilham Kadri fait le point sur les premières avancées concrètes.
La conscience environnementale, Ilham Kadri l’a chevillée au corps depuis sa tendre enfance. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’elle ait impulsé l’ambitieuse stratégie écologique Solvay One Planet, avec une série d’engagements très forts en matière de préservation du climat, des ressources et plus globalement de qualité de vie. Des engagements si forts que “parfois, nous ne savons pas comment nous allons les atteindre d’ici 2030”, sourit la CEO du groupe chimique. Elle fait le point un an après le lancement de cette action.
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La conscience environnementale, Ilham Kadri l’a chevillée au corps depuis sa tendre enfance. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’elle ait impulsé l’ambitieuse stratégie écologique Solvay One Planet, avec une série d’engagements très forts en matière de préservation du climat, des ressources et plus globalement de qualité de vie. Des engagements si forts que “parfois, nous ne savons pas comment nous allons les atteindre d’ici 2030”, sourit la CEO du groupe chimique. Elle fait le point un an après le lancement de cette action. TRENDS-TENDANCES. Dans son livre, Bill Gates explique qu’il y a 20 ans, l’enjeu climatique ne le tracassait pas vraiment. Et vous, qu’en pensiez-vous à l’époque? Ilham Kadri. Il y a 20 ans, la problématique était connue mais le sens de l’urgence était beaucoup moins marqué qu’aujourd’hui. Je suis chimiste, et les chimistes se sont toujours intéressés à la sécurité des substances et au recyclage. C’est notre métier! En 1998, au moment où je commençais ma carrière, à l’époque chez Shell, il y avait déjà une directive sur l’utilisation des biocides. Quelques années plus tard, il y a eu la directive Reach sur l’autorisation des substances. L’industrie chimique a toujours posé les bonnes questions et la régulation a suivi. Mais, c’est vrai, le sens de l’urgence et la sensibilisation du grand public se sont intensifiés ces dernières années. En quoi ces préoccupations environnementales ont-elles changé votre parcours professionnel? Pour moi, la durabilité est une valeur de base, elle a toujours été présente dans ma vie. Mon premier job, mon premier projet industriel visait à alléger les composants plastiques des voitures, notamment dans les tableaux de bord. Si vous allégez la voiture, vous réduisez les émissions et les coûts aussi. C’est non seulement durable mais aussi rentable. Durant ma carrière, j’ai aussi beaucoup travaillé dans le domaine de l’eau. C’est la ressource naturelle la plus rare et qui sera une vraie problématique pour les générations futures. On a développé le concept d’eau virtuelle, qui définit la quantité d’eau utilisée pour la production de tout, de votre tasse de café du matin à la confection de tissus. Selon les calculs du WWF, l’empreinte hydraulique pour une petite tasse de café est de… 140 litres. Travailler au dessalement de l’eau de mer au Moyen-Orient, développer des procédés moins énergivores, recycler les eaux grises des douches, etc., tout cela est passionnant. Le temps qui passe ne fait que confirmer l’importance de la gestion des ressources. Nous consommons en huit mois ce que la planète peut régénérer en un an, nous sommes en fait en banqueroute. D’où le sens de l’urgence dont vous parliez… Pour le grand public, oui. Mais moi, personnellement, j’ai toujours été bien consciente de cela. J’ai grandi à Casablanca, nous n’avions pas accès à l’eau potable et j’ai appris très tôt à économiser les ressources, à ne rien gaspiller. Mon attention à la durabilité, à la circularité vient de là. Et j’ai essayé de projeter ces valeurs dans mon parcours professionnel. Gaspiller moins, économiquement, c’est toujours bon! L’industrie émet du CO2, elle fait partie du problème. Mais elle fait aussi partie de la solution, en réduisant ses émissions, en allégeant les objets, etc. Les entreprises qui veulent être leaders dans leur domaine doivent toujours chercher à anticiper les régulations, à les considérer comme un minimum. La durabilité, c’est un peu la petite graine que j’essaie de faire germer à chaque étape de mon parcours. La dernière de ces petites graines s’appelle Solvay One Planet. Quel bilan dressez-vous pour cette stratégie initiée il y a un an? Cette feuille de route Solvay One Planet illustre cette volonté d’aller au-delà des planchers réglementaires. Comme tout bon chimiste, Solvay cherchait à réduire ses émissions de CO2. Entre 2014 et 2018, nous avions diminué de 0,8%. Depuis, nous avons rejoint les accords de Paris et nous avons réduit nos émissions de 4% en 2019 et 2020. Il s’agit d’une baisse structurelle, sans tenir compte de la baisse d’activité due à la crise du Covid-19. Nous avons déjà lancé 30 projets à travers le monde dans ce cadre. Avec notre ferme solaire en Caroline du Sud, nous sommes dans le top 10 des investisseurs dans le solaire aux Etats-Unis et le n°1 pour l’industrie chimique. Nous avons décidé d’abandonner le charbon, ce qui est un big deal pour Solvay. Nous l’utilisions en effet depuis 160 ans pour notre activité historique de production de carbonate de soude. Deux usines allemandes passent maintenant du charbon à la biomasse. C’est fantastique car la biomasse, c’est la valorisation de déchets industriels et ménagers. Tous nos projets doivent nous permettre d’éviter de rejeter près de deux millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, ce qui est l’équivalent des émissions d’un million de voitures par an. C’est énorme. Solvay entend porter la production à base de ressources renouvelables ou recyclées de 7 à 15% de l’ensemble de sa production d’ici 2030. Avez-vous des exemples concrets de produits concernés par cette évolution? Je suis “Madame eau”, alors je vais commencer par cela: nous voulons réduire la consommation d’eau douce de nos usines de 25% à l’horizon 2030 et nous avons déjà baissé de 5% en deux ans. Solvay veut aussi réduire de 30% son volume de déchets industriels non valorisables. Aujourd’hui, cela coûte moins cher de les mettre en décharge que de les recycler, il y a des choses à faire pour que cela évolue. Enfin, nous sommes très fiers de notre implication dans l’économie circulaire. Solvay est l’une des rares sociétés qui l’a mesurée: 4% de notre chiffre d’affaire est circulaire et nous allons doubler cette proportion d’ici 2030. Quand nous produisons de la vanilline à partir de l’écorce de riz, qui était un déchet dont nous sommes parvenus à extraire de l’acide férulique, nous faisons de l’économie circulaire. Cette vanilline naturelle est utilisée dans les gâteaux ( à la place des gousses de vanille, dont l’offre est très limitée, Ndlr). Dans un tout autre domaine, nous avons établi un très intéressant partenariat avec Veolia pour le recyclage des batteries. Aujourd’hui, on brûle les batteries en fin de vie, alors que ce sont des bijoux, plein de métaux précieux comme le lithium ou le cobalt. Nous parvenons à en extraire plus de 90%! Le groupe Renault vient de rejoindre ce projet. Ils sont à la fois fournisseurs – leurs véhicules ont des batteries en fin de vie – et clients car ils ont besoin des éléments que nous allons réinjecter dans la chaîne de valeurs. L’évolution vers une économie plus circulaire n’implique-t-elle pas de multiplier les partenariats comme celui-là? Effectivement, une entreprise ne peut pas avancer seule dans la circularité: il faut un écosystème. Quand un groupe chimique s’associe à l’un des leaders de la gestion des déchets, c’est un mariage vertueux qui permet de dérisquer le projet. Et c’est encore plus vrai avec l’arrivée de Renault. Nous repensons nos processus de fabrication mais nous regardons aussi au-delà de nos propres murs. Nous sommes en discussion avec plus de 500 de nos fournisseurs en vue d’améliorer la durabilité de toute la chaîne de valeurs. Plus de 80% de la circularité d’un produit devrait en fait être pensée dès la création de ce produit. Et c’est une fabuleuse opportunité pour un groupe chimique comme Solvay car nous sommes les designers de la matière. Cela peut être du biodégradable, du 100% végétal ou de la réutilisation de composants extraits d’un déchet. Tant de choses sont possibles aujourd’hui par la technologie. Une formidable modernisation de la chimie est en cours. C’est vraiment fantastique ce qui est en train de se passer, avec en plus le Green Deal européen, le plan Biden aux Etats-Unis ou même la Chine qui annonce la décarbonisation de son économie pour 2060. Ce sont des opportunités extraordinaires pour la chimie. Mais il faut faire émerger des business cases durables et rentables. “Cela coûte parfois moins cher de mettre en décharge que de recycler”, dites-vous. Seriez-vous prête à assumer des mesures de régulation ou de taxation plus fortes pour faire bouger cette situation effectivement très paradoxale? Mais nous le demandons! Un tel changement est toujours inconfortable mais aujourd’hui, cela me paraît nécessaire pour rendre crédible tous les investissements que nous sommes en train de faire. L’économie circulaire, ce n’est pas gratuit! Avec Veolia, et maintenant Renault, nous créons des exemples d’industries durables et profitables. La durabilité ne doit pas se limiter à la planète, aux ressources, à l’humain. Elle doit être profitable aussi. Et pourrait-elle être profitable avec, par exemple, une taxe carbone? Quand j’ai rejoint Solvay, le carbone était à 15-20 euros la tonne. Mais dans certains pays, c’est à zéro. Donc, au moment de concocter notre stratégie Solvay One Planet, à quel prix fallait-il placer la tonne de carbone pour analyser la rentabilité des projets d’investissement qui nous seraient soumis? Nous l’avons fixé à 50 euros la tonne, avec même un stress-test à 75 euros. A l’époque, en 2019, on me disait qu’un tel prix allait tuer de beaux projets. Aujourd’hui, nous sommes déjà à 50 euros la tonne… Ce prix du carbone va permettre aux innovateurs que nous sommes de nous réinventer et d’aller plus loin. Pour nous, c’est une opportunité. Je pense même que les entreprises qui voient le prix du carbone comme une menace sont appelées à disparaître. On ne peut pas se permettre de vivre dans le statu quo.